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21 mars. — Nous comptons partir demain soir pour Bruxelles.


22 mars. — Partis de Paris hier soir à neuf heures, nous arrivons à Bruxelles à deux heures.

Mme  Jules Simon avant-hier quand elle est venue me voir me disait : — Nous sommes déplorablement installés à Versailles[1]. Le plafond sent le palais, le plancher sent l’ambulance. De l’or en haut, du sang en bas. Nous couchons dans des galetas qui ont des lambris de pourpre. Nos lits n’ont qu’un matelas[2]. D’immenses salles glaciales et démeublées, ce sont nos chambres, on ne saurait voir plus de misère dans plus de faste.


23 mars. — Continuation des troubles à Paris.


25 mars. — L’état de Paris est grave, surtout à cause des prussiens qui sont là, tenant la ville sous leur canon. Thiers, en voulant reprendre les canons de Belleville, a été fin là où il fallait être profond. Il a jeté l’étincelle sur la poudrière. Thiers, c’est l’étourderie préméditée. En voulant éteindre la lutte politique, il a allumé la guerre sociale.


27 mars. — Paris est épuisé. Les élections communales vont avoir lieu.

Clément Thomas, qui vient d’être si étrangement tué à Montmartre par une espèce de tribunal de francs-juges, avait été proscrit au coup d’état. En février 1852, il vint me voir à Bruxelles. J’étais logé en compagnie de mon Charles, Grand’Place, <abbr class="abbr" title="numéro">n<sup style="font-size:70%">o 16. Clément Thomas avait à peu près mon âge. Nous causâmes longtemps. C’était un républicain sincère, mais de l’école étroite et formaliste du National. Il avait du reste pris Charles en grande amitié. Tous deux sont morts.


28 mars. — M. Ludwig Wilh vient me voir après mon déjeuner. Il m’annonce que l’Étoile belge publie ma nomination à Paris comme membre de la Commune. Blanqui et Flourens seraient aussi élus.


29 mars. — Ma nomination ne semble pas se confirmer. Tant mieux.


3 avril. — Je ne reçois plus de lettres de Paris. La poste n’y est plus distribuée. La crise devient aiguë.

  1. Les différents ministères étaient installés à Versailles et le ministère de l’Instruction publique occupait l’aile gauche du palais au rez-de-chaussée en face l’Orangerie. (Note de l’éditeur.)
  2. Un matelas à terre. (Note de l’éditeur.)