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blanches, vertes, relatives à toutes sortes d’objets, et sur lesquelles la pluie, qui les avait effacées, et le temps, qui les avait déchirées, ne laissaient plus distinguer que ces deux mots restés lisibles : Education universal. — Temperance.

Le prévôt tenait une grosse clef à la main ; il la mit dans la serrure ; la porte, qui n’avait pas été ouverte peut-être depuis le jour de l’exécution et qui avait recommencé à se rouiller dans sa paix funèbre, fit un grincement et s’ente-bâilla. Nous entrâmes. Le prévôt repoussa la porte derrière nous. Nous étions dans un étroit palier carré, fermé de trois côtés par de hautes murailles et s’ouvrant du quatrième côté sur un escalier roide et qui était sombre, quoique éclairé à plein ciel. Vis-à-vis l’escalier, le prévôt me fit remarquer le replâtrage d’une brèche récemment murée. C’est par là que Tapner avait passé. Cet escalier était la première échelle de son gibet. Il l’avait monté. Nous le montâmes. Je ne sais pourquoi je comptai les marches en montant. Il y en avait quatorze.

Cet escalier mène à un premier jardin, oblong et étroit, dominé par un autre qui forme terrasse. On monte dans l’autre par un escalier de sept marches en granit grossier, comme les quatorze que nous avions déjà franchies.

Au haut de ces sept marches, nous eûmes sous les yeux un enclos nu d’environ cent pas carrés, fermé de murs assez bas, coupé par deux allées transversales figurant une croix au milieu. C’était là ce qu’on appelait « le jardin ». C’était là que Tapner avait été pendu.

Le givre de décembre continuait de tomber ; quelques broussailles frissonnaient au vent sur la terre noire ; pas de fleurs, pas de verdure dans ce jardin ; on voyait seulement un petit arbre fruitier maigre et rabougri dans un des quatre carrés formés par l’intersection des allées. L’ensemble serrait le cœur. C’était un de ces lieux tristes que le soleil ferait mélancoliques et que la pluie fait lugubres.

Ce jardin ne tient à aucune maison. Il n’est le jardin de personne, que du spectre qu’on y a laissé. Il est désert, abandonné, inculte, tragique. D’autres jardins l’entourent et l’isolent. Il ne touche à la ville, à la vie, aux hommes que par la prison. Les maisons des rues basses qui l’environnent montrent de loin le haut de leurs façades, qui ont l’air de fronts effarés regardant par-dessus le mur de ce lieu sinistre.

En voyant d’un côté l’espèce de petit promenoir inférieur, étroit, allongé, assez profond, où aboutissent les quatorze premières marches, et de l’autre ce jardin funèbrement coupé de ces deux allées transversales, il est impossible de ne pas songer à une fosse auprès de laquelle serait étendu le drap mortuaire avec sa croix.