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Un des prisonniers entra en ce moment dans la cour ; c’était un jeune homme à figure douce, condamné à dix ans de Botany-Bay pour vol. Il était vêtu d’un pantalon de toile et d’un petit paletot bleu, et coiffé d’une casquette.

Le prévôt, qu’on appelle aussi le shériff, et qui, en cette qualité, gouverne la prison et accompagne les condamnés à l’échafaud, ce qui le rend fort ennemi de la peine de mort, le prévôt m’expliqua que ce jeune homme ne serait pas déporté et qu’il en serait quitte pour deux ou trois ans de prison cellulaire.

La prison cellulaire anglaise, empreinte et toute pénétrée de l’esprit glacial du protestantisme anglican, prouve que la sévérité et la froideur peuvent aller jusqu’à la férocité. Dans l’une d’elles, Mill-Bank, je crois, le silence est imposé.

Le prévôt me conta qu’en visitant cette prison il était entré dans une cellule où était un jeune homme de Guernesey condamné pour vol et à lui connu. Ce jeune homme était phtisique et se mourait. En voyant le prévôt, il joignit les mains sur son grabat et s’écria avec angoisse :

— Ah ! monsieur, ma grand’mère vit-elle encore ?

Le prévôt avait à peine eu le temps de répondre oui, que déjà le geôlier avait dit à l’agonisant : Taisez-vous.

Le jeune homme mourut peu de temps après.

Il passa de la prison à la tombe, d’un silence à l’autre, et dut à peine s’apercevoir du changement.


Sous les sept arcades du rez-de-chaussée sont les cellules des prisonniers pour dettes.

Nous y entrâmes. Elles étaient vides. Un bois de lit, une paillasse et une couverture, voilà tout ce que la prison donne au prisonnier pour dettes. Il peut se meubler mieux en payant. Le dernier prisonnier pour dettes était un guernesiais dont le nom m’échappe. Il était mis là par sa femme qui l’y tint dix ans, faisant de la prison de son mari sa liberté. Au bout des dix ans le mari paya sa femme et sortit. Ils se remirent à vivre ensemble, et font, me dit le prévôt, « très bon ménage ».

Il n’y avait pour le moment, j’y insiste, aucun prisonnier dans la prison pour dettes.

Cette prison est tout un éloge muet de la population guernesiaise. Elle ne contient en tout que douze cellules, six pour les détenus pour dettes, six pour les délits communs, plus deux chambres de punition. Il y a, en outre, pour les femmes, deux cellules seulement, dont une de punition. Une des sept chambres du rez-de-chaussée est la chapelle, petite salle sans