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1855.


SUR TAPNER[1].


Guernesey, 6-12 décembre.

Le prévôt de la reine à Guernesey, M. Martin, était venu me voir à mon arrivée. Je lui ai rendu sa visite le 5 décembre 1855. Il m’a offert de m’accompagner à la prison, que je désirais voir.

Nous avons pris par les rues qui montent derrière la cour royale. En me promenant dans Saint-Pierre-Port, j’avais déjà remarqué dans la ville, à mi-côte, un grand mur noir percé d’une haute porte, surmonté d’un G couronné sculpté dans le granit. Je m’étais dit : Ce doit être là la prison. C’était là en effet.

Le geôlier nous reçut. Il s’appelle Barbet ; ce qui fait que les voleurs guernesiais appellent la prison l’Hôtel Barbet. Cet homme a cette mine gaie et dure, cette figure à la fois ouverte et fermée que j’ai déjà remarquée à plusieurs geôliers. Sa femme et sa fille faisaient la soupe dans un coin.

Barbet prit une grosse clef, ouvrit une grille, et nous introduisit dans une assez vaste cour nue, oblongue, bornée de trois côtés par le grand mur qui du dehors avait appelé mon attention. Au midi, la cour est dominée par un bâtiment neuf bâti en granit gris, dont la façade à deux étages se compose de deux rangées de sept arcades superposées. Sous les arcades on voit des fenêtres ; derrière les vitres des fenêtres on voit de gros barreaux peints en blanc.

C’est la prison et ce sont les cellules.

— Guernesey est une île honnête, me dit le prévôt, homme distingué et intelligent, non-conformist, de la secte des indépendants, comme Cromwell et Milton. Et il ajouta : — Nous n’avons en ce moment, sur une population de plus de quarante mille âmes, que trois prisonniers, deux hommes et une femme.

  1. Voir Actes et Paroles. Pendant l’exil. Affaire Tapner. Lettre aux habitants de Guernesey. Lettre à lord Palmerston.