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Hubert était venu me voir à Bruxelles et à Jersey ; mais je n’avais gardé de cet homme aucun souvenir.

Quand j’entrai, je dis à Heurtebise :

— Où est Hubert ?

— Derrière vous, me dit Heurtebise.

Je me retournai, et je vis, assis à une table, adossé au mur, du côté de la rue, sous la fenêtre du milieu, une pipe devant lui, le chapeau sur la tête, un homme d’environ cinquante ans, coloré, marqué de petite vérole, aux cheveux très blancs et aux moustaches très noires. Ses yeux étaient fixes et tranquilles. De temps en temps, il soulevait son chapeau et s’essuyait le front avec un gros mouchoir bleu. Son paletot, de couleur brune, était boutonné jusqu’au menton.

Maintenant qu’on savait qui il était, on lui trouvait la mine d’un sergent de ville.

On allait et venait devant lui, auprès de lui, à côté de lui, en parlant de lui.

— C’est là ce lâche, disait l’un.

— Voilà ce bandit, disait l’autre.

Il entendait ces paroles échangées à voix haute, et regardait ceux qui parlaient, absolument comme s’ils eussent parlé d’un autre.

Quoique la salle, où survenaient sans cesse de nouveaux arrivants, fût encombrée, il y avait un vide autour de lui. Il était seul à sa table et sur son banc. Quatre ou cinq proscrits, debout dans les deux angles de la fenêtre, le gardaient. L’un d’eux était Bony, qui nous montre à monter à cheval.

La proscription était à peu près au complet, quoique la convocation eût été faite à la hâte au milieu de la nuit, la plupart étant couchés et endormis. Pourtant on remarquait quelques absences. Pierre Leroux, après avoir assisté au premier choc de Hubert et des proscrits, s’en était allé et n’était pas revenu, et, de toute la famille très nombreuse — qu’on appelle ici « la tribu Leroux » — il n’y avait là qu’un seul membre, Charles Leroux. Étaient également absents la plupart de ceux qu’on appelle parmi nous « les exaltés », et entre autres l’auteur du manifeste dit du comité révolutionnaire, Seigneuret.

On était allé chercher la commission qui avait fait l’enquête. Elle arriva ; Mathé, qui sortait du lit, avait l’air tout endormi.

Parmi les réfugiés présents, un ancien, vieilli dans les conspirations, avait l’habitude de ces sortes de procès sommaires entre proscrits dans les catacombes ; espèces de séances de francs-juges où le mystère n’exclut pas la solennité et où il s’est plus d’une fois prononcé d’effrayants arrêts, que tous sanctionnent et que quelques-uns exécutent. Cet ancien était Cahaigne.