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plus tôt. Pourtant pas à l’époque de la révolution de Juillet, pas à l’époque du refus de serment ; on se serait mépris sur ma pensée.

J’ai dit :

— Vous avez raison, Monsieur, il y avait dans la révolution de Juillet un fond de droit que vous ne pouviez méconnaître ; vous n’étiez pas de ceux qui pouvaient protester contre elle.

— Aussi ne l’ai-je point fait, m’a répondu M. Royer-Collard en souriant. Je ne blâme pas ceux qui ont agi autrement que moi. Chacun a sa conscience, et dans les choses politiques il y a beaucoup de manières d’être honnête. On a l’honnêteté qui résulte des lumières qu’on a.

Il a gardé un moment le silence, comme s’il recueillait ses souvenirs, puis il a repris :

— Eh ! mon Dieu ! Charles X aussi était honnête.

Puis il s’est tu.

Je l’ai laissé rêver un instant, et, voulant connaître le fond de sa pensée, j’ai repris :

— Quoi qu’on en ait dit, c’était un roi honnête homme, et, quoi qu’on en ait dit encore, il n’est tombé que par sa faute. Les historiens arrangeront cela comme ils voudront, mais cela est. C’est Charles X qui a renversé Charles X.

— Oui, a répondu M. Royer-Collard en me faisant de la tête un grave signe d’assentiment, il s’est précipité, il l’a voulu, c’est vrai ! On a dit qu’il était mal conseillé. Erreur ! erreur ! Personne ne le conseillait. On a prétendu qu’il consultait le cardinal de la Farre, M. de Latil, M. de Polignac, son entourage. Plût au ciel qu’il l’eût fait ! Aucun de ceux qui l’entouraient n’était aussi avant que lui dans le vertige ; aucun ne lui eût donné d’aussi mauvais conseils que ceux qu’il se donnait à lui-même. Tous ceux qui entouraient le roi — ce qu’on appelait les courtisans — étaient plus sages que lui.

M. Royer-Collard a gardé un moment le silence, puis a repris avec un sourire triste qu’il a eu souvent pendant cette conversation :

— Plus sages, c’est-à-dire moins fous.

Encore un silence ; puis il a ajouté :

— Non, personne ne le conseillait.

Et après un autre silence :

— Et rien ne le conseillait ! Il était depuis sa jeunesse resté identique à lui-même. C’était toujours le comte d’Artois, il n’avait pas changé. N’avoir pas changé, eût-on vécu quatre-vingts ans, c’était la seule qualité qu’il estimât. Il appelait cela avoir un caractère. Il disait que, depuis la Révolution, il n’y avait en France et dans le siècle que deux hommes, M. de La Fayette et lui. Il estimait M. de La Fayette.