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comme on dit aujourd’hui. Car en temps de guerre le soldat appelle le bourgeois pékin, en temps de paix le bourgeois appelle le soldat tourlourou.

L’église était nue et froide, presque déserte. Au fond, une grande toile grise tendue du haut en bas masquait l’énorme archivolte du dôme. On entendait derrière cette toile des coups de marteau sourds et presque lugubres.

Je me suis promené quelques instants en lisant sur les piliers les noms de tous les hommes de guerre enterrés là.

Tout le long de la haute nef, au-dessus de nos têtes, les drapeaux conquis sur l’ennemi, ce tas de haillons magnifiques, frissonnaient doucement près de la voûte.

Dans les intervalles des coups de marteau j’entendais un chuchotement dans un coin de l’église. C’était une vieille femme qui se confessait.

Les soldats sont sortis, et moi derrière eux.

Ils ont tourné à droite, par le corridor de Metz, et nous nous sommes mêlés à une foule assez nombreuse et fort parée qui suivait cette direction. Le corridor débouche dans la cour intérieure où est la petite entrée du dôme.

J’ai retrouvé là, dans l’ombre, trois autres statues de plomb, descendues de je ne sais où, que je me rappelle avoir vues, à cette même place, étant tout enfant, en 1815, lors des mutilations d’édifices, de dynasties et de nations qui se firent à cette époque. Ces trois statues, du plus mauvais style de l’empire, froides comme ce qui est allégorique, mornes comme ce qui est médiocre, sont là debout le long du mur, dans l’herbe, parmi des tas de chapiteaux, avec je ne sais quel faux air de tragédies sifflées. L’une d’elles tient un lion attaché à une chaîne et représente la Force. Rien n’a l’air désorienté comme une statue posée à plat sur le sol, sans piédestal ; on dirait un cheval sans cavalier ou un roi sans trône. Il n’y a que deux attitudes pour le soldat, la bataille ou la mort ; il n’y en a que deux pour le roi, l’empire ou le tombeau ; il n’y en a que deux pour la statue, être debout dans le ciel ou couchée sur la terre.

Une statue à pied étonne l’esprit et importune l’œil. On oublie qu’elle est de plâtre ou de bronze et que le bronze ne marche pas plus que le plâtre, et l’on est tenté de dire à ce pauvre personnage à face humaine si gauche et si malheureux dans sa posture d’apparat : — Eh bien ! va donc ! va ! marche ! continue ton chemin ! démène-toi ! La terre est sous tes pieds. Qui te retient ? qui t’empêche ? — Du moins le piédestal explique l’immobilité. Pour les statues comme pour les hommes, un piédestal c’est un petit espace étroit et honorable, avec quatre précipices tout autour.

Après avoir passé les statues, j’ai tourné à droite et je suis entré dans l’église par la grande porte de la façade postérieure qui donne sur le boulevard.