Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/67

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’empereur, les Gloires et les Renommées ne sont plus que des châssis grossièrement chantournés.

À propos de cela, les figures de l’avenue des Invalides ont été étrangement choisies, soit dit en passant. La liste publiée donne des alliances de noms bizarres et hardies. En voici une : Lobau. Charlemagne. Hugues Capet.




Il y a quelques mois, je me promenais dans ces mêmes Champs-Élysées avec Thiers, alors premier ministre. Il eût à coup sûr mieux réussi cette cérémonie. Il l’eût prise à cœur. Il avait des idées. Il sent et il aime Napoléon. Il me contait des anecdotes sur l’empereur. M. de Rémusat lui a communiqué les mémoires inédits de sa mère. Il y a là cent détails.

L’empereur était bon et taquin. La taquinerie est la méchanceté des bons. Caroline, sa sœur, voulait être reine. Il la fit reine, reine de Naples. Mais la pauvre femme eut beaucoup de soucis dès qu’elle eut un trône, et s’y rida et s’y fana quelque peu.

Un jour Talma déjeunait avec Napoléon — l’étiquette n’admettait Talma qu’au déjeuner. — Voici que la reine Caroline arrivant de Naples, pâle et fatiguée, entre chez l’empereur. Il la regarde, puis se tourne vers Talma, fort empêché entre ces deux majestés. — Mon cher Talma, lui dit-il, elles veulent toutes être reines, elles y perdent leur beauté. Regardez Caroline. Elle est reine, elle est laide.




Au moment où je passe, on achève de démolir les innombrables estrades tendues de noir et décorées de banquettes de bal qui ont été élevées par des spéculateurs à l’entrée de l’avenue de Neuilly. Sur l’une d’elles, en face du jardin Beaujon, je lis cet écriteau : — Places à louer. Tribune d’Austerlitz. S’adresser à M. Berthellemot, confiseur.

De l’autre côté de l’avenue, sur une baraque de saltimbanques ornée de deux affreuses peintures d’enseigne représentant, l’une, la mort de l’empereur, l’autre, le fait d’armes de Mazagran, je lis cet autre écriteau : Napoléon dans son cercueil. Trois sous.

Des hommes du peuple passent et chantent : Vive mon grand Napoléon ! vive mon vieux Napoléon !

Des marchands parcourent la foule, criant : Tabac et cigares ! D’autres offrent aux passants je ne sais quel liquide chaud et fumant dans une théière