Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/423

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

veau président. Il était quatre heures, les lustres étaient allumés, une foule immense aux tribunes publiques, le banc des ministres au complet. Cavaignac, calme, vêtu d’une redingote noire, sans décoration, était à sa place. Il tenait sa main droite dans sa redingote boutonnée et ne répondait pas à M. Bastide qui se penchait par moments à son oreille. M. Fayet, évêque d’Orléans, était sur une chaise devant le général. Ce qui fit dire à l’évêque de Langres, l’abbé Parisis : C’est la place d’un chien et non d’un évêque.

M. de Lamartine était absent.

Les quatre assaillants du 25 novembre, MM. Garnier-Pagès, Pagnerre, Duclerc et Barthélemy Saint-Hilaire étaient à leur banc. Le dernier causait assez cordialement avec M. Altaroche, son voisin, ancien rédacteur en chef du Charivari, fait représentant du peuple par la révolution de Février.

Le rapporteur, M. Waldeck-Rousseau, lut un discours froid, froidement écouté. Quand il vint à l’énumération des suffrages obtenus et qu’il arriva au chiffre de Lamartine, 17 940 votes, la droite éclata de rire. Chétive vengeance, sarcasme des impopularités de la veille à l’impopularité du lendemain !

Cavaignac prit congé en quelques paroles dignes et brèves, auxquelles toute l’Assemblée battit des mains. Il annonça que le ministère se démettait en masse et que lui, Cavaignac, déposait le pouvoir. Il remercia l’Assemblée d’une voix émue. Quelques représentants pleuraient.

Titus regnam Berenicem invitus, invitam dimisit.

Puis le président Marrast proclama « le citoyen Louis Bonaparte » président de la République.

Quelques représentants assis autour du banc où avait siégé Louis Bonaparte applaudirent. Le reste de l’Assemblée garda un silence glacial. On quittait l’amant pour prendre le mari.

Armand Marrast appela l’élu du pays à la prestation du serment. Il se fit un mouvement.

Louis Bonaparte, vêtu d’un habit noir boutonné, la décoration de représentant et la plaque de la Légion d’honneur sur la poitrine, entra par la porte de droite, monta à la tribune, prononça d’une voix calme le serment dont le président Marrast prit Dieu et les hommes à témoin, puis lut, avec son accent étranger, qui déplaisait, un discours interrompu par quelques rares murmures d’adhésion. Il fit l’éloge de Cavaignac, ce qui fut remarqué et applaudi. Après quelques minutes, il descendit de la tribune, couvert, non, comme Cavaignac, des acclamations de la Chambre, mais d’un immense cri de : Vive la République ! Une voix cria : Vive la Constitution !

Avant de sortir, il alla serrer la main à son ancien précepteur, M. Vieillard, assis à la troisième travée de gauche. Puis le président de l’Assemblée