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[LA VEILLE DE L’ÉLECTION.]


Décembre 1848.

La nuit s’était faite sur tout.

Cependant la situation se dessinait. Personne dans l’Assemblée ne mettait en question la République. Chacun l’acceptait, à la seule condition de la définir. J’avais dit pour ma part et tout haut : — Ce que la République sera pour la France, je le serai pour la République. Bonne, elle me trouvera bon. Seulement la lutte éclatait entre les deux partis formés des débris de tous les autres, les deux seuls qui restassent, dont l’un voulait une halte en attendant que le jour revînt, tandis que l’autre voulait continuer la marche dans les ténèbres.

Les députés qu’on appelait les rouges placardèrent une proclamation. On remarqua qu’ils abandonnaient le rouge, couleur habituelle de leurs placards. L’affiche était jaune. Elle était franchement intitulée : Déclaration des représentants de la Montagne et signée, au nom de la réunion Taitbout, par les membres du bureau : La Mennais, Félix Pyat, Buvignier, Deville, Alartin-Bernard et Th. Bac.

L’affiche faisait les promesses habituelles des partis extrêmes, théories, spéculations, utopies, qui n’ont souvent d’autre tort que de vouloir devenir immédiatement des réalités. Tort grave, car la première condition de toute moisson, c’est la maturité. Que dirait-on de celui qui faucherait le blé en avril, engerberait de l’herbe comme des épis et déclarerait qu’il va en faire immédiatement du pain ?

L’affiche recommandait au peuple Ledru-Rollin. Elle promettait en son nom deux choses assez malaisément conciliables : l’abolition immédiate de presque tous les impôts, et la fondation du crédit public.

Vers cette époque on vint me proposer de signer une affiche qui recommandait Louis Bonaparte. Je refusai. Je dis en propres termes : Je ne réponds de personne, pas même de moi. Je réponds que je ne ferai jamais une lâcheté, mais je ne réponds pas que je ne ferai jamais une bêtise.

Cependant, comme il arrive toujours aux époques où les éléments de tout se mêlent, le bouffon apparaissait parmi le terrible. Tous les cœurs se serraient dans une anxiété secrète et par moments le spectacle devenait si grotesque et si petit qu’on éclatait de rire. Le 9 décembre, la veille de l’élection, une affiche bleue couvrait les murs des boulevards. On y lisait en substance : Français, vous avez d’un côté Cavaignac, un sabreur, dont la liberté ne veut pas, de l’autre Louis-Napoléon, un prince, dont la République s’inquiète ; pour vous tirer d’embarras, nommez le docteur Watbled. Signé Watbled.