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Le général Cavaignac fut habile et parfois même éloquent. Il se défendit comme on attaque. Il me parut souvent vrai, à moi, parce qu’il était louche depuis si longtemps. L’Assemblée l’écouta près de trois heures avec une attention profonde, où perçait à chaque instant la sympathie, toujours la confiance, quelquefois une sorte d’amour.

Cavaignac, avec sa taille haute et souple, sa petite redingote noire, son col militaire, ses épaisses moustaches, ses sourcils froncés, sa parole brève, brusque, coupée de saccades et de parenthèses, son geste rude, était par moments tout à la fois farouche comme un soldat et farouche comme un tribun. Vers le milieu il fut avocat, ce qui pour moi gâta l’homme ; la harangue tournait au plaidoyer. Mais à la fin il se releva avec une sorte d’indignation vraie, il frappa du poing la tribune et fit tomber le verre d’eau au grand émoi des huissiers, et quand il termina en disant : — J’ai parlé je ne sais combien de temps, je parlerai encore tout ce soir, toute cette nuit, tout demain dimanche, s’il le faut, et ce ne sera plus maintenant l’avocat, ce sera le soldat, et vous l’entendrez ! — toute l’Assemblée éclata dans une immense acclamation.


M. Barthélemy Saint-Hilaire, qui attaqua Cavaignac, était un orateur froid, roide, un peu sec, qui ne convenait pas à la lutte, ayant de la colère sans éclat et de la haine sans passion. Il commença par lire un factum, ce qui déplaît toujours aux assemblées. L’Assemblée, mal disposée et furieuse en secret, voulait l’accabler. Elle ne demandait que des prétextes, il lui donna des raisons. Son mémoire avait ce grave défaut d’asseoir sur de petits faits de grosses accusations, surcharge qui fit plier tout le système. Et puis, ce petit homme blême, qui jetait à chaque instant sa jambe en arrière et se penchait, les deux mains sur le rebord de la tribune comme sur la margelle d’un puits, faisait rire ceux qui ne huaient pas. Au milieu des violences de l’Assemblée, il affectait d’écrire longuement sur les feuilles de son cahier, de sécher l’encre avec de la poudre et de reverser cette poudre à loisir dans la poudrière, trouvant ainsi moyen d’augmenter le tumulte avec son calme. Quand M. Barthélemy Saint-Hilaire descendit de la tribune, Cavaignac n’était encore qu’attaqué et déjà il était absous.


M. Garnier-Pagès, républicain éprouvé, honnête homme, mais ayant le fond vaniteux et la forme emphatique, succéda à M. Barthélémy Saint-