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DÉBATS SUR LES JOURNÉES DE JUIN.


[CONVERSATIONS DANS LES COULOIRS SUR L’ÉLECTION À LA PRÉSIDENCE.]


26 septembre 1848.

Louis Napoléon a paru aujourd’hui à l’Assemblée. Un M… parlait sur les deux Chambres, il resta court au milieu d’un discours appris par cœur. Louis Bonaparte est allé s’asseoir au septième banc de la troisième travée à gauche, entre M. Vieillard et M. Havin.

Il paraît jeune, a des moustaches et une royale noires, une raie dans les cheveux, cravate noire, habit noir boutonné, col rabattu, des gants blancs. Perrin et Léon Faucher, assis immédiatement au-dessous de lui, n’ont pas tourné la tête. Au bout de quelques instants, l’émotion s’est évanouie, les tribunes se sont mises à lorgner le prince, et le prince s’est mis à lorgner les tribunes.

Il est monté à la tribune (3 h. 1/4). Il a lu, avec un papier chiffonné à la main. On l’a écouté dans un profond silence. Il a prononcé le mot compatriotes avec un accent étranger. Il ressemble à Lockroy. Quand il a eu fini, quelques voix ont crié : Vive la République !

Il est retourné lentement à sa place. Son cousin Napoléon, fils de Jérôme, celui qui ressemble tant à l’empereur, est venu le féliciter par-dessus M. Vieillard.

Du reste, il s’est assis sans dire un mot à ses deux voisins. Il se tait, mais il paraît plutôt embarrassé que taciturne.


5 octobre 1848.

Le général Cavaignac siégeait à l’extrémité du banc des ministres, côté gauche, au plus près de la tribune ; il avait l’escalier de la Montagne derrière lui, et en montant les passants lui touchaient l’épaule ou lui poussaient la tête. Pour se garantir des coups de coude, il a fait garnir l’angle supérieur de son banc d’une planche de sapin. Ceci a fait rumeur. On y a vu un commencement de privilège, un commencement de trône ; car le trône en effet commence par le sapin. L’égalité a crié. Le lendemain on a vu le même dossier au banc d’en face. L’égalité s’est calmée.