Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/369

Cette page a été validée par deux contributeurs.


[ARRESTATIONS DE BLANQUI.]


La police de sûreté de l’Assemblée nationale est distincte de la police de Paris. Elle se fait au moyen de quatre agents placés directement et exclusivement sous les ordres du commissaire spécial de police Yon. M. Yon ne fait de rapports qu’au président de l’Assemblée et aux questeurs. Ceci froisse le préfet de police et amène souvent des conflits.

Ce commissaire Yon est un homme de quarante ans, de bonnes manières et d’une figure agréable. Il ressemble à M. de Langsdorff, le gendre de M. de Sainte-Aulaire.

C’est un personnage intelligent, expéditif et fin, qui sait bien la police et qui la fait bien. La police politique a cela de particulier qu’elle se fait toujours un peu contre ceux qui l’emploient, et qu’elle est toujours prête à passer du côté de ceux qu’elle pourchasse. Elle donne la main aux gouvernants et touche le coude aux conspirateurs. Pour être instruite, elle a besoin de confiance des deux côtés. Chose bizarre, elle en inspire.

En 1834, M. Yon reçut l’ordre de visiter les papiers de Barbès ; il était en même temps porteur d’un mandat d’amener contre Blanqui qu’il n’avait jamais vu. Blanqui avait disparu.

M. Yon arrive inopinément chez Barbès de grand matin. Barbès était couché. Il n’était pas seul. Il y avait un homme dans son lit. M. Yon ne connaissait pas cet homme.

On les fait lever tous deux. On procède à la visite.

M. Yon interroge l’homme qui était couché avec Barbès. L’homme répond avec calme et le plus simplement du monde. Il donne un nom et une adresse quelconques, à Batignolles. On le fouille, on ne trouve rien sur lui, qu’une clef.

M. Yon allait le faire relâcher.

Cependant : — Voyons la clef, dit-il.

Il regarde la clef et il regarde l’homme.

— Qu’est-ce que c’est que cette clef ?

— Pardieu, c’est la clef de mon logement.

— Alors, dit M. Yon, vous êtes Blanqui.

Et il ajouta : — Vous demeurez rue de l’Estrapade, no 27, au troisième.

C’était Blanqui en effet.

Le mois d’auparavant, M. Yon, cherchant Blanqui, était allé au lieu où il