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camp ou secrétaire des commandements, a pris ce qu’il a reconnu. Il paraît qu’en somme on a retrouvé peu de chose. M. le duc de Nemours s’était borné à demander du linge et surtout de gros souliers.

En bas de la réclamation émanée de Louis-Philippe se trouvait une liste singulière d’objets perdus. Note évidemment ironique et qu’on suppose écrite par quelque mystificateur républicain. Cette note était ainsi conçue : Je réclame en outre un paquet de cure-dents, deux vieux caleçons, un gilet de flanelle, mes pantalons et une paire de bretelles.

M. le prince de Joinville a abordé ainsi M. le duc de Montpensier : — Ah vous voilà, Monsieur ; vous n’êtes pas tué, vous n’avez pas eu de chance !

Gudin, le peintre de marine, qui arrive d’Angleterre, a vu Louis-Philippe. Le roi est très accablé ; il a dit à Gudin : — Je ne comprends pas. Que s’est-il passé à Paris ? quel vent a traversé la cervelle des parisiens ? je ne sais !… Un jour ils reconnaîtront que je n’ai eu aucun tort. — Il n’a eu aucun tort, et il les a eus tous.

Il en était du reste arrivé à un degré d’optimisme inexprimable ; il se croyait plus roi que Louis XIV et plus empereur que Napoléon. Le mardi 22, il était d’une gaieté qu’on peut dire folle. Du reste, ce jour-là même, encore occupé uniquement de ses propres affaires et de ses affaires les plus petites. À deux heures, comme les premiers coups de fusil se tiraient, il conférait avec MM. de Gérante, Scribe et Denormandie, ses gens d’affaires, sur le parti à tirer du testament de Madame Adélaïde. Le mercredi, à une heure, au moment même où la garde nationale se prononçait, ce qui entraînait une révolution, le roi mandait près de lui M. Hersent pour lui commander je ne sais quel tableau.

Charles X était un lynx.

Du reste, Louis-Philippe en Angleterre porte dignement son malheur. La reine Victoria a été très sèche pour Louis-Philippe. Pas une marque d’intérêt, pas une offre d’argent. L’aristocratie anglaise a mieux agi. Louis-Philippe a reçu dix lettres des principaux pairs d’Angleterre ouvrant leurs bourses et le priant d’y puiser. Il a répondu : — Je garde les lettres.

En ce moment (mai 1848), les Tuileries sont déjà réparées, et M. Empis me disait ce matin : On va frotter et il n’y paraîtra plus. En revanche, Neuilly et le Palais-Royal ont été dévastés. La galerie des tableaux du Palais-Royal, assez médiocre d’ailleurs, est à peu près détruite. Il n’est resté qu’un seul tableau parfaitement intact, c’est le portrait de Philippe-Égalité. Est-ce un choix de l’émeute ? est-ce une dérision du hasard ? Les gardes nationaux s’amusaient et s’amusent encore à découper carrément et proprement les figures qui leur conviennent dans les toiles des tableaux qui n’ont pas été entièrement brûlés.