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par ordre, dis-je. Comprenez-vous la liberté ? Moi, je la pratique. Je crierai aujourd’hui : Vive le peuple ! parce que ça me plaît. Le jour où je crierai : Vive la République ! c’est parce que je le voudrai. — Il a raison ! c’est très bien ! murmurèrent plusieurs voix. Et nous passâmes.

Après bien des détours, M. Froment-Meurice nous introduisit dans une petite pièce et nous quitta pour aller m’annoncer à Lamartine.

La porte vitrée de la salle où nous étions donnait sur une galerie, où je vis passer mon ami David d’Angers, le grand statuaire. Je l’appelai. David, républicain de vieille date, était rayonnant. — Ah ! mon ami, le beau jour ! s’écria-t-il. Il me dit que le gouvernement provisoire l’avait nommé maire du xie arrondissement. — On vous a mandé, je crois, pour quelque chose de pareil. — Non, dis-je, je ne suis pas appelé. Je viens de moi-même pour serrer la main à Lamartine.

M. Froment-Meurice revint et me dit que Lamartine m’attendait. Je laissai Victor dans cette salle où je viendrais le reprendre et je suivis de nouveau mon obligeant conducteur à travers d’autres couloirs aboutissant à un grand vestibule plein de monde. — Un monde de solliciteurs ! — me dit M. Froment-Meurice. C’est que le gouvernement provisoire siégeait dans la pièce à côté. Deux grenadiers de la garde nationale gardaient, l’arme au pied, la porte de cette salle, impassibles et sourds aux prières et aux menaces. J’eus à fendre cette presse ; un des grenadiers, averti, m’entr’ouvrit la porte ; la poussée des assaillants voulut profiter de l’issue et se rua sur les sentinelles qui, avec l’aide de M. Froment-Meurice, la refoulèrent, et la porte se referma derrière moi.

J’étais dans une salle spacieuse faisant l’angle d’un des pavillons de l’Hôtel de Ville et de deux côtés éclairée par de hautes fenêtres. J’aurais souhaité trouver Lamartine seul, mais il y avait là avec lui, dispersés dans la pièce et causant avec des amis ou écrivant, trois ou quatre de ses collègues du gouvernement provisoire, Arago, Marie, Armand Marrast… Lamartine se leva à mon entrée. Sur sa redingote boutonnée comme d’habitude, il portait en sautoir une ample écharpe tricolore. Il fit quelques pas à ma rencontre et, me tendant la main : — Ah ! vous venez à nous, Victor Hugo ! c’est pour la République une fière recrue ! — N’allez pas si vite, mon ami ! lui dis-je en riant, je viens tout simplement à mon ami Lamartine. Vous ne savez peut-être pas qu’hier, tandis que vous combattiez la Régence à la Chambre, je la défendais place de la Bastille. — Hier, bien ; mais aujourd’hui ! Il n’y a plus aujourd’hui ni régence, ni royauté. Il n’est pas possible qu’au fond Victor Hugo ne soit pas républicain. — En principe, oui, je le suis. La République est, à mon avis, le seul gouvernement rationnel, le seul digne des nations. La République universelle sera le dernier mot du