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M. le chancelier dit que M. de Boissy se trompe : c’est à quatre heures après midi. Ce sont, du reste, des faits qui arrivent fréquemment dans la justice ordinaire et dans les prisons les mieux gardées.

On vote l’arrêt qui dessaisit la cour par mains levées, à l’unanimité.

Le duc de Massa, après le vote, demande qu’on mette son épouse dans l’arrêt. Il y a une duchesse de Praslin mère. On fait droit à l’observation.

On fait rentrer le procureur général et on lui lit l’arrêt. La séance est levée à trois heures moins cinq minutes.

Beaucoup de pairs restent à causer dans la salle. M. Cousin dit à M. de Boissy : — Vous avez eu raison de questionner. C’était excellent.




Y a-t-il eu préméditation ?

Préméditation ? oui et non. Entendons-nous sur ce point.

Il y a la préméditation légale, la préméditation définie par le code, qui consiste à vouloir un crime, à le préparer, à le combiner, à l’échafauder, à l’arranger comme une œuvre de patience, comme un ouvrage d’art.

Et puis il y a la préméditation involontaire.

Un homme tue un matin sa femme. Il la tue dans des conditions étranges, inouïes, impossibles, insensées, hideusement folles et bêtes. Nous en avons eu récemment un exemple effrayant. (Le duc de Praslin.)

Voici comment les choses ont pu se passer.

On s’épouse. Sans se connaître. Les familles s’épousent, les terres s’épousent, les coffres-forts s’épousent, les noms s’épousent. Le jeune homme et la jeune fille ne se sont pas appareillés. Cependant on les marie. Les voilà mariés. Un beau jour la discordance éclate. Ces deux natures sont mal accouplées. Tout contact leur est choc. Les baisers s’achèvent en morsures. Le mari fait obstacle à la femme, la femme fait obstacle au mari. Ironies, amertumes, colères, querelles. On se déteste.

L’homme, qui du reste n’est pas bon, devient rêveur. Un jour que son esprit est sombre cette réflexion y éclôt : En voilà donc pour toute ma vie ! quel boulet à traîner !

À quelque temps de là, il arrive qu’il lit dans un journal cette nouvelle : Mme  la duchesse une telle est morte. — Pardieu, dit-il, c’était une bonne femme celle-là, et qui rendait son mari bien heureux ! Quel dommage qu’elle soit morte plutôt qu’une autre ! Les femmes bonnes s’en vont, les mauvaises restent.

On fait quelque partie de campagne, un accident survient, une voiture