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deviez le déclarer », m’a dit le chancelier. J’ai répondu : « Monsieur le chancelier, quand déclarer est dénoncer, un médecin ne déclare pas. »

— Du reste, ajoutait M. Louis, le duc était très doux ; il adorait ses enfants, et passait sa vie à en avoir un sur les genoux et quelquefois en même temps un autre sur le dos. La duchesse était belle et intelligente ; elle était devenue énorme. Le duc a souffert affreusement, mais avec le plus grand courage. Pas un mot, pas une plainte au milieu des tortures de l’arsenic.

Il paraît que M. de Praslin était admirablement bien fait. Quand on l’a déposé sur la table de l’autopsie, les médecins ont été frappés. L’un d’eux s’est écrié : Quel beau cadavre ! — C’était un magnifique athlète, me disait le docteur Louis.

Le cercueil dans lequel on l’a inhumé porte une plaque de plomb sur laquelle est le no 1 054. Un numéro après sa mort, comme les forçats pendant leur vie ; voilà toute l’épitaphe du duc de Choiseul-Praslin.




Mlle Deluzy, et non de Luzzy, est toujours à la Conciergerie. Elle se promène tous les jours à deux heures dans la cour. Elle porte tantôt une robe de nankin, tantôt une robe de soie à larges raies. Elle sait que beaucoup de regards sont fixés sur elle de toutes les fenêtres. Les gens qui l’ont vue disent qu’elle prend des poses. Elle fait la distraction de M. Teste, dont la fenêtre donne sur cette cour. Elle a envoyé chercher chez Mme Lemaire deux cents francs et du linge.

Granier de Cassagnac, qui l’a vue, m’en faisait ce portrait : — Elle a le front trop bas, le nez trop retroussé, les cheveux trop blonds. Cependant, somme toute, elle est jolie. Elle regarde fixement tous ceux qui passent, cherchant à observer et peut-être aussi à fasciner.

C’est une de ces femmes auxquelles il manque du cœur pour avoir de l’esprit. Elle est capable de sottises, non par passion, mais par égoïsme.




30 août.

Séance dans laquelle la cour s’est dessaisie.

À une heure un quart, j’entre dans la salle, il n’y a encore que peu de pairs. M. Villemain, M. Cousin, M. Thénard, quelques généraux, entre autres le général Fabvier, quelques premiers présidents, entre autres M.Barthe ; il y a aussi M. le comte de Bondy, qui a une ressemblance physique singulière, en beaucoup mieux, avec le duc de Praslin.

Je cause avec le général Fabvier, puis longuement avec M. Barthe, de tout.