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Puis un profond silence quand l’appel nominal a commencé.

Les pairs répondaient en général d’une voix éteinte et fatiguée.

Puis le chancelier s’est couvert de son mortier de velours noir doublé d’hermine et a lu l’arrêt. Le procureur général était à son poste. Le chancelier a lu l’arrêt d’un accent ferme, bien remarquable dans un vieillard de quatre-vingts ans.

Quoique en aient dit quelques journaux, il n’a pas versé de « larmes silencieuses ».

L’arrêt va être lu immédiatement par le greffier en chef, Cauchy, aux condamnés.

Il y aura, demain 18, juste un mois que Teste fut mis en prévention par les pairs instructeurs, et qu’il leur dit : Je vous remercie de me placer dans cette position qui me rend le droit précieux de défense.

Comme nous descendions le grand escalier, Cousin m’a dit :

— Hugo, quel beau soleil ! ceci rappelle un chapitre de votre Dernier jour d’un condamné.

— Hélas ! ai-je répondu, la bonne nature conserve son calme, quoi que nous fassions, l’infini ne peut pas être troublé par le fini.




20 juillet.

Une particularité, c’est que c’est M. Teste qui a fait construire, étant ministre des travaux publics, cette prison du Luxembourg ; il a été le premier ministre qu’on y ait enfermé. Cela a fait songer au gibet de Montfaucon et à Enguerrand de Marigny.

M. Teste occupe dans cette prison une chambre séparée seulement par une cloison de la chambre du général Cubières. La cloison est si mince que, comme M. Teste parle haut, M. Cubières, dès le premier jour, fut obligée de frapper à la cloison pour avertir M. Teste qu’elle entendait tout ce qu’il disait. Aussi le coup de pistolet fit-il tressaillir le général Cubières comme s’il avait été tiré dans sa chambre même.

La séance du 12 avait été tellement décisive qu’on pressentait quelque acte de désespoir possible. Pendant l’audience même, M. le duc Decazes avait fait mettre des barreaux aux fenêtres des prisonniers. Ils trouvèrent ces barreaux en rentrant et ne s’en étonnèrent pas. On leur retira également leurs rasoirs et leurs canifs, et ils durent dîner sans couteaux.

Des agents devaient ne plus les quitter un instant et passer la nuit près d’eux. Cependant on crut pouvoir laisser M. Teste seul avec son fils et ses avocats. Il dîna avec eux, presque silencieusement ; chose remarquable, car il parlait volontiers et beaucoup. Le peu qu’il dit, il causa de choses étrangères à l’affaire.