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On introduit les accusés. Peu de spectateurs dans l’hémicycle derrière le banc des accusés. Trois tables revêtues de serge verte ont été dressées vis-à-vis la cour ; à chacune de ces tables il y a une chaise ; des bancs derrière pour les avocats. Le président Teste s’assied à la table du milieu, le général Cubières à la table de droite, Parmentier à la table de gauche. Tous trois sont en noir.

Parmentier est entré assez longtemps après les deux pairs. Teste, qui est commandeur de la Légion d’honneur, en a la rosette à la boutonnière ; Cubières, qui est grand-officier, le simple ruban. Avant de s’asseoir, le général cause un moment avec son avocat, puis feuillette d’un air très occupé le volume des pièces. Il a son visage ordinaire. Teste est pâle et calme. Il se frotte les mains comme lorsqu’on est satisfait. Parmentier est gras, chauve, les cheveux gris blanc, la face rouge, le nez en bec, la bouche faite d’un coup de sabre, les lèvres minces ; l’air d’un coquin. Il a une cravate blanche, ainsi que le président Teste. Le général a une cravate noire.

Les trois accusés ne se regardent pas. Parmentier baisse les yeux et affecte de jouer avec la chaîne d’or de sa montre qu’il étale avec une affectation de provincial sur son gilet noir. Un jeune homme à petites moustaches noires, qu’on dit être son fils, s’assied à sa gauche.

Derrière moi plusieurs députés, le président de Belleyme, M. Marie, l’avocat républicain, M. Janvier, l’avocat quasi-légitimiste, M. Léon de Malleville, vice-président de la chambre des députés, causent des accusés.

Interrogé sur ses qualités. Teste se lève et dit :

— J’ai pensé qu’il n’était pas convenable d’apporter sur ce banc les dignités dont j’avais été revêtu (mouvement) ; je les ai déposées hier dans les mains du roi. (Mouvement : très bien.)

On lit l’acte d’accusation. Cubières tient son visage et son front cachés dans sa main gauche et suit la lecture sur le volume distribué. Teste la suit également, et annote son exemplaire avec une plume de fer qu’il tient à la main. Il a mis ses besicles. De temps en temps, il prend du tabac dans une grande tabatière de buis, et cause avec son avocat, M. Paillet. Parmentier semble très attentif.

Moi, au milieu de cette lecture, où les mots de corruption, de prévarication, de fraude, d’escroquerie reviennent fatalement et sans cesse, je ne puis m’empêcher de songer que M. Cubières appartenait à ce ministère du 1er mars dont Odilon Barrot disait le lendemain du jour de sa formation : C’est jeune, c’est honnête, ça me va.

En dépit des usages de la cour, des femmes assistaient au procès. Elles sont rangées au-dessus de nos têtes autour du trou du lustre. On les aperçoit à travers le vitrage.