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[PROCÈS TESTE ET CUBIÈRES[1].]


CHAMBRE DES PAIRS.


6 mai. — Le nouveau garde des sceaux, M. Hébert, a apporté aujourd’hui à la Chambre l’ordonnance qui la constitue cour de justice pour juger le général Cubières à propos de l’affaire Parmentier. Le général assistait à la séance. Il était à sa place, assis au bureau comme secrétaire de la Chambre qu’il est en ce moment. Le chancelier présidait. Le général paraissait calme et regardait de temps en temps avec une lorgnette d’ivoire les tribunes où il y avait beaucoup de femmes. Personne n’est allé lui parler, ni lui prendre la main. La Chambre était nombreuse et triste. Il a deux ou trois fois adressé la parole à M. de Ségur-Lamoignon, assis à côté de lui, qui lui répondait avec une répugnance visible. Chacun se demandait : — Comment est-il là ? pourquoi est-il venu ? — Cousin, assis à côté de moi, me disait : — Il n’est donc pas allé consulter son vertueux ami intime M. Passy qui lui eût dit crûment son fait !

Le comte Daru a lu l’ordonnance. Puis le général Cubières a demandé la parole. Le chancelier a dit : — La parole est à M. Despans-Cubières. On a remarqué cette forme. Le général est monté à la tribune, assez pâle, et a parlé dix minutes environ, pour ne dire ni oui, ni non, sans faiblesse et sans fermeté. Il expliquera, a-t-il dit. Puis il est retourné à sa place de secrétaire, à la grande stupeur de tous. La séance législative a commencé, et le chancelier a appelé le comte Beugnot à la tribune. Vingt minutes après le général a quitté la Chambre. Pas un ne lui a dit un mot. Cousin me disait : — J’ai été ministre avec lui, nous sommes presque amis. Eh bien, s’il passait là, je ne lui donnerais pas la main. Je ne suis pas assez brave pour cela.

Comme le général descendait le grand escalier, Viennet qui montait l’a rencontré. Viennet est allé à lui et lui a dit : Insensé ! (style Viennet) comment avez-vous écrit de telles lettres ! — C’est là mon seul tort, a répondu Cubières. Je n’en ai pas eu d’autres.

  1. Affaire des mines de Gouhenans. — MM. Cubières, Parmentier et Pellapra sont accusés « d’avoir, en 1842, corrompu par offres, dons et présents, le ministre des travaux publics, pour obtenir la concession d’une mine de sel gemme située dans le département de la Haute-Saône ». — M. Teste est accusé « d’avoir, étant ministre des travaux publics, agréé des offres et reçu des dons et présents pour faire un acte de ses fonctions non sujet à salaire ». Réquisitoire du procureur général Delangle.