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d’ateliers, autant d’ateliers que de corridors. L’enfant en outre sait lire et écrire. Il a dans sa prison un maître pour l’esprit comme pour le corps.

Il ne faut pas croire cependant qu’à force de douceur cette prison soit inefficace comme châtiment. Non, elle est profondément triste. Tous ces détenus ont un air qui est particulier.

Il y a du reste encore beaucoup de critiques à faire ; le système cellulaire commence. Il a presque tous ses perfectionnements devant lui ; mais déjà, tel qu’il est, incomplet et insuffisant, il est admirable à côté du système de l’emprisonnement en commun.

Le prisonnier, captif de tous les côtés et libre seulement du côté du travail, s’intéresse à ce qu’il fait, quoi qu’il fasse. Tel enfant joueur, qui haïssait toute occupation, devient un ouvrier acharné. C’est que peu de travail ennuie et beaucoup de travail amuse.

Quand on est séquestré, on parvient à trouver du plaisir dans le travail le plus aride comme on finit par trouver de la lumière dans la cave la plus noire. L’autre jour, le 5 avril, je visitais la prison des condamnés, je dis au directeur qui m’accompagnait :

— Vous avez un condamné à mort ici en ce moment ?

— Oui, monsieur, le nommé Marquis, qui a essayé de tuer à coups de couteau une fille Térisse pour la voler.

— Je voudrais, dis-je, parler à cet homme.

— Monsieur, dit le directeur, je suis ici pour prendre vos ordres, mais je ne puis vous introduire près du condamné.

— Parce que ?

— Monsieur, les règlements de police nous défendent de laisser pénétrer qui que ce soit dans la cellule des condamnés à mort.

Je repris :

— J’ignore, Monsieur le directeur de la prison, ce que prescrivent les règlements de police ; mais je sais ce que prescrit la loi. La loi place les prisons sous la surveillance des chambres et les ministres en particulier sous la surveillance des pairs de France, qui peuvent être appelés à les juger. Partout où il peut y avoir un abus, le législateur doit entrer et regarder. Il peut y avoir des choses mauvaises dans le cachot d’un condamné à mort. Il est de mon devoir d’entrer et de votre devoir d’ouvrir.

Le directeur ne répliqua point et me conduisit.

Nous côtoyâmes une petite cour où il y a quelques fleurs et qu’entoure une galerie. C’est le promenoir spécial des condamnés à mort. Quatre hauts bâtiments l’entourent. Au milieu d’un des côtés de la galerie, il y a une grosse porte bardée de fer. Un guichetier l’ouvrit, et je me trouvai dans une