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blonds. Les quatre princesses prirent place en face du piano sur des fauteuils à dos élevé ; toutes les autres femmes derrière elles ; les hommes derrière les femmes emplissant les portes et le premier salon. Le roi des belges avait une assez belle et grave figure, le sourire fin et agréable ; il était assis à gauche des princesses.

Le duc de Broglie vint s’asseoir à sa gauche, puis M. le comte Molé, puis M. Dupin aîné. M. de Salvandy, voyant un fauteuil vide à droite du roi, s’y assit. Tous cinq avaient le cordon rouge, y compris M. Dupin. Ces quatre hommes représentaient autour du roi des belges l’ancienne noblesse militaire, l’aristocratie parlementaire, la bourgeoisie avocassière, et la littérature clair-de-lune ; c’est-à-dire un peu de ce que la France a d’illustre et un peu de ce qu’elle a de ridicule.

MM. d’Aumale et de Montpensier étaient à droite dans une fenêtre avec M. le duc de Wurtemberg qu’ils appelaient leur frère Alexandre. Tous les princes avaient le grand cordon et la plaque de Léopold pour faire honneur au roi des belges ; MM. de Nemours et de Montpensier la Toison d’or. La Toison de M. de Montpensier était en diamants et magnifique.

Les chanteurs italiens chantaient au piano debout et s’asseyaient dans les repos sur des chaises à dossiers de bois.

M. le prince de Joinville était absent ainsi que sa femme.

On contait que dernièrement il était allé en bonne fortune. M. de Joinville est d’une force prodigieuse. Un grand laquais disait derrière moi : — Je ne voudrais pas qu’il me donnât une calotte. — Tout en cheminant vers son rendez-vous, M. de Joinville crut s’apercevoir qu’on le suivait : il revint sur ses pas, aborda l’escogriffe et tapa — comme un sourd.

Après la première partie du concert, MM. d’Aumale et de Montpensier vinrent dans le second salon où je m’étais réfugié avec Théophile Gautier, et nous causâmes une bonne heure. Les deux princes me parlèrent beaucoup de choses littéraires, des Burgraves, de Ruy Blas, de Lucrèce Borgia, de Mme  Halley, de Mme  George, de Frederick Lemaître. Et beaucoup aussi de l’Espagne, du mariage, des combats de taureaux, des baise-mains, de l’étiquette, que M. de Montpensier « déteste ». — Les espagnols aiment la royauté, ajoutait-il, et surtout l’étiquette. En politique comme en religion, ils sont bigots plutôt que croyants. Ils se sont fort scandalisés pendant les fêtes du mariage parce que la reine a osé un jour sortir à pied !

MM. d’Aumale et de Montpensier sont de charmants jeunes gens, vifs, gais, gracieux, spirituels, sincères, pleins de cette aisance qui se communique. Ils ont tout à fait bon air. Ce sont des princes ; ce sont peut-être aussi des intelligences. M. de Nemours est embarrassé et embarrassant. Quand il vient à vous avec ses favoris blonds, ses yeux bleus, son cordon