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des Tuileries. Ce qu’on appelait le bataillon de Marseille formait une des faces du carré.

La guillotine, — c’est toujours avec répugnance qu’on écrit ce mot hideux, — semblerait aujourd’hui fort mal construite aux gens du métier. Le couteau était tout simplement suspendu à une poulie fixée au milieu de la traverse supérieure. Cette poulie et une corde de la grosseur du pouce, voilà tout l’appareil. Le couteau, chargé d’un poids médiocre, était de petite dimension et à tranchant recourbé, ce qui lui donnait la forme renversée d’une corne ducale ou d’un bonnet phrygien. Aucune capote n’était disposée pour abriter la tête du patient royal, et tout à la fois en masquer et en circonscrire la chute. Toute cette foule put voir tomber la tête de Louis XVI, et ce fut grâce au hasard, grâce peut-être à la petitesse du couteau qui diminua la violence du choc, qu’elle ne rebondit pas hors du panier jusque sur le pavé. Incident horrible, qui se produisit d’ailleurs souvent pendant les exécutions de la Terreur. On voit qu’on décapite aujourd’hui les assassins et les empoisonneurs plus décemment. La guillotine a reçu beaucoup de « perfectionnements ».

À la place où tomba la tête du roi, un long ruisseau de sang coula le long des planches de l’échafaud jusque sur le pavé. Quand l’exécution fut terminée, Sanson jeta au peuple la redingote du roi qui était en molleton blanc, et en un instant elle disparut, déchirée par mille mains. Scinderunt vestimenta sua.

Un homme monta sur la guillotine les bras nus et remplit par trois fois ses deux mains de caillots de sang qu’il dispersa au loin sur la foule en criant : Que ce sang retombe sur nos têtes ! Les révolutions produisent de ces épouvantables semeurs. Ils ensemencent l’avenir de désastres et de catastrophes ; et un demi-siècle après eux, les générations effrayées voient germer les choses terribles qu’ils ont jetées dans le sillon.

En défilant autour de l’échafaud, tous ces hommes armés qu’on appelait les volontaires trempèrent dans le sang de Louis XVI leurs baïonnettes, leurs piques et leurs sabres. Aucun des dragons ne les imita. Les dragons étaient des soldats.

Oh ! que les fondateurs de monarchies seraient accablés et tristes, et comme ils sentiraient se mêler à leur pensée auguste une pensée amère, s’ils pouvaient distinguer à travers les siècles les sombres figures de l’avenir ! S’ils savaient ! S’ils pouvaient voir, dans les profondes perspectives de l’histoire, ce qu’il advient de nos entreprises, de nos fondations, de nos empires, de nos rêves ; ce que les places publiques font des statues royales ; ce que les peuples font des couronnes ; ce que les échafauds font des trônes ; ce que les multitudes peuvent faire d’un homme ; quel abaissement remplace la