Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/201

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

crypte, qui ressemble à l’intérieur d’un entonnoir renversé, cette caverne faite de main d’homme, cette boîte de pierre, a gardé le secret de tout le sang qu’elle a bu, de tous les hurlements qu’elle a étouffés. Les effroyables choses qui se sont accomplies dans cet antre de juges y palpitent et y vivent encore, et y dégagent on ne sait quels miasmes hideux.

Étrange horreur que cette chambre ! étrange horreur que cette tour posée au beau milieu du quai, sans fossé et sans muraille qui la sépare des passants !

Au dedans, les scies, les brodequins, les chevalets, les roues, les tenailles, le marteau qui enfonce les coins, le grincement de la chair touchée par le fer rouge, le pétillement du sang sur la braise, les interrogations froides des juges, les rugissements désespérés du torturé ; au dehors, à quatre pas, les bourgeois qui vont et viennent, les femmes qui jasent, les enfants qui jouent, les marchands qui vendent, les voitures qui roulent, les bateaux sur la rivière, le tumulte de la ville, l’air, le ciel, le soleil, la liberté !

Chose sinistre à penser, cette tour sans fenêtres a toujours paru silencieuse au passant ; elle ne faisait pas plus de bruit alors qu’à présent. Quelle est donc l’épaisseur de ces murailles, pour que de la tour on n’entendît pas le bruit de la rue, et pour que de la rue on n’entendît pas le bruit de la tour !

Je considérais cette table surtout, avec une curiosité pleine d’effroi. Des prisonniers y avaient gravé leurs noms. Vers le milieu, huit ou dix lettres commençant par une M et formant un mot illisible, y étaient assez profondément entaillées. À l’une des extrémités avait été écrit au poinçon ce nom : Merel. (Je cite de mémoire et je puis me tromper, mais je crois que c’est le nom.)

Le mur était d’une nudité hideuse. Il semblait qu’on en sentît toute l’effroyable et impitoyable épaisseur. Le pavage était le même que le pavage de la chambre des condamnés à mort, c’est-à-dire l’ancien pavé blanc et noir de saint-Louis, à carreaux alternés. Un grand poêle carré en briques avait remplacé l’ancien réchaud de la torture. Cette chambre sert, l’hiver, de chauffoir aux prisonniers.

De là nous pénétrâmes dans le bâtiment des femmes.

Après une heure de séjour dans la prison, j’étais déjà si accoutumé aux grilles et aux verrous que je n’y faisais plus attention, non plus qu’à cet air particulier aux prisons qui m’avait suffoqué en entrant. Il me serait donc impossible de dire ce qu’on ouvrit de portes pour nous faire passer du quartier des hommes dans le quartier des femmes. Je ne m’en souviens plus.

Je me rappelle seulement qu’une vieille au nez d’oiseau de proie apparut à une grille et nous ouvrit, en nous demandant si nous désirions faire le tour du préau. Nous acceptâmes.