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Au-dessous, un parodiste avait ajouté :

Dans la Conciergerie,

Quand un concierge rit,
Tous les concierges rient

Dans la Conciergerie.

M. Lebel me fit remarquer, dans le préau, l’endroit par où s’était évadé un détenu quelques années auparavant. Il avait suffi à cet homme de l’angle droit que formaient les deux murs du préau au coin le plus septentrional. Il s’était adossé à cet angle et s’était hissé, avec la seule force musculaire des épaules, des coudes et des talons, jusqu’au toit, où il avait saisi un tuyau de poêle. Que ce tuyau fléchît sous son poids, il était mort. Parvenu sur le toit, il était redescendu dans les cours extérieures et s’était enfui. Tout cela en plein jour. On le reprit dans le palais de Justice. Il s’appelait Bottemole.

— Une pareille évasion méritait plus de succès, me dit M. Lebel. J’ai presque eu du regret en le voyant revenir.

À l’entrée du préau des hommes, il y avait, à gauche, un petit greffe réservé au gardien en chef, avec une table disposée en équerre devant la fenêtre, un fauteuil de cuir et toutes sortes de cartons et de paperasses sur cette table. Derrière cette table et ce fauteuil, il y avait un espace oblong de huit pieds environ sur quatre. C’était l’emplacement de l’ancien cachot de Louvel.

Le mur qui le séparait du greffe avait été démoli. À une hauteur d’environ sept pieds, le mur s’interrompait et était remplacé par un grillage en barreaux de fer qui montait jusqu’au plafond. Le cachot ne recevait de jour que par là et par le vasistas de la porte, jour de souffrance qui venait du corridor et du greffe et non du préau. Par ce grillage et par ce vasistas, on observait, nuit et jour, Louvel, dont le lit était dans l’angle au fond. Cela n’empêchait pas la présence de deux surveillants dans le cachot même. Lorsqu’on démolit le mur, l’architecte fit conserver la porte, porte très basse, armée d’une grosse serrure carrée à verrou rond, et fit sceller cette porte dans la muraille extérieure. C’est là que je la vis.

Je me rappelle que, dans mon extrême jeunesse, je vis Louvel passer sur le Pont-au-Change le jour où on le mena à la place de Grève. C’était, il me semble, au mois de juin. Il faisait un beau soleil. Louvel était dans une charrette, les bras liés derrière le dos, une redingote bleue jetée sur les épaules, un chapeau rond sur la tête. Il était pâle. Je le vis de profil. Toute sa physionomie respirait une sorte de férocité grave et de fermeté violente. Il avait quelque chose de sévère et de froid.