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L’un de ces derniers était encore propre et grave, et avait je ne sais quel air de ville. C’était la ruine d’un monsieur.

Ce préau n’avait rien de sinistre. Il est vrai qu’il faisait un beau soleil, et que tout rit au soleil, même la prison. Il y avait deux carrés de fleurs avec des arbres petits, mais bien verts, et, entre les deux carrés, au milieu de la cour, une fontaine jaillissante avec bassin de pierre.

Ce préau était l’ancien cloître du palais. L’architecte gothique l’avait entouré des quatre côtés d’une galerie à arches ogives. Les architectes modernes avaient rempli ces ogives de maçonnerie. Ils y avaient installé des planchers et des cloisons, et pratiqué deux étages. Chaque arcade donnait une cellule au rez-de-chaussée et une au premier.

Ces cellules, planchéiées et propres, n’avaient rien de très repoussant. Neuf pieds de long sur six de large, une porte sur le corridor, une fenêtre sur le préau, des verrous, une grosse serrure et un vasistas grillé à la porte, des barreaux à la fenêtre, une chaise, un lit dans l’angle à gauche de la porte, ce lit garni de grosse toile et de gros lainage, mais très soigneusement et très carrément fait, voilà ce que c’était que ces cellules.

On était à l’heure de la récréation. Presque toutes étaient ouvertes, les hommes étant au préau.

Deux ou trois cependant restaient fermées, et les détenus, de jeunes ouvriers, cordonniers ou chapeliers pour la plupart, y travaillaient, faisant grand bruit de marteaux. C’étaient, me dit-on, des prisonniers laborieux et de bonne conduite qui avaient préféré le travail à la promenade.

La pistole était au-dessus. Les cellules y étaient un peu plus grandes et un peu moins propres, grâce à la liberté dont on y jouissait, moyennant seize centimes par jour. En général, dans une prison, plus il y a de propreté, moins il y a de liberté. Ces malheureux sont ainsi faits que leur propreté est le signe de leur servitude.

Ils n’étaient pas seuls dans leurs cellules à la pistole ; ils étaient quelquefois deux ou trois ensemble ; il y avait une grande chambre où ils étaient six.

Un vieillard lisait dans cette chambre, honnête et paisible figure. Il leva les yeux de dessus son livre quand j’entrai, et me regarda de l’air d’un curé de campagne qui lit son bréviaire assis sur l’herbe avec le ciel au-dessus de sa tête. Je questionnai, mais je ne pus savoir de quoi ce goodman était accusé.

Sur le mur blanchi à la chaux, près de la porte, ces quatre vers étaient écrits au crayon :

Dans la gendarmerie,

Quand un gendarme rit,
Tous les gendarmes rient

Dans la gendarmerie.