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THÉÂTRE


I


19 juillet 1846.

Ces jours-ci Méry était à l’Opéra. Méry a contracté au théâtre de Marseille où il est comme le roi l’habitude de parler haut pendant la représentation et d’interpeller acteurs, public, commissaire de police, qui bon lui semble. Il était donc à l’Opéra, au balcon. Méry aime fort la musique. On jouait je ne sais quoi. Deux cors de chasse, deux trombones, deux de ces machines qu’on appelle ophicléides ou sax-horns jouaient terriblement faux et faisaient un bruit désagréable au-dessous de lui. Méry se lève. Il met sa main droite en garde-vue sur ses yeux et dirige son rayon visuel vers le chef d’orchestre en lui disant :

— Monsieur Habeneck ?

Toute la salle se retourne, y compris le chef d’orchestre et tout l’orchestre.

— Est-il là, monsieur Habeneck ? reprend Méry. Est-ce monsieur Habeneck ? Enfin, n’importe ! Monsieur Habeneck ou le quelqu’un qui est à sa place. — Monsieur ! nous vous donnons huit cent mille francs par an pour avoir des cuivres. Ayez la bonté de m’extirper ces deux cors que j’ai là, à mes pieds.




II


27 juillet. — Il y a juste aujourd’hui seize ans la révolution de Juillet éclatait. Ce soir-là, les théâtres reçurent l’ordre de ne point fermer quoiqu’on se battît déjà sur les boulevards.

À la Porte-Saint-Martin, dont Crosnier était alors le directeur, on donnait je ne sais quel mélodrame appelé le Bigame qui était, je crois, d’un nommé M. Sauvage. Une pauvre femme qui avait du talent pour les rôles gais et qui a eu une vie bien triste et une mort bien triste, Mme  Adolphe, débutait dans cette pièce. Il y avait dix ou douze spectateurs dans la salle. On entendait de dehors la rumeur, les cris et les coups de fusil. Entrait qui voulait.