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la captivité de Ham plusieurs garçons, auxquels M. de Polignac a donné, du chef de sa femme, une existence de princes en Hongrie. Ils ne pouvaient avoir d’état légal en France. M. Guernon-Ranville et M. de Chantelauze vivaient presque en commun et faisaient tous les soirs leur partie d’échecs ensemble. M. de Peyronnet se confinait dans sa cellule et s’isolait. — Sa raison, dit M. Guernon-Ranville, commençait à s’altérer. — M. de Polignac avait un peu de hauteur et M. de Peyronnet un peu de dédain.

Les sentinelles avaient ordre de tirer sur les prisonniers quand ils mettaient la tête à la fenêtre à de certaines heures. M. Guernon-Ranville a un souvenir amer de sa captivité.

Quoiqu’on pense généralement le contraire, il affirme que M. de Peyronnet avait approuvé les ordonnances. Il avait même, comme ministre de l’intérieur, rédigé en entier l’ordonnance électorale. Elle était telle que M. Guernon-Ranville, le jour où il la lut au conseil, lui dit en sortant du cabinet du roi : « Vous auriez pu écrire cette loi en un article : Les Préfets feront les élections. » M. de Peyronnet se mit à rire.

M. de Polignac resta jusqu’au bout le grand seigneur oublieux et distrait. La garnison de Paris étant jugée trop faible pour le coup d’état qui allait éclater, M. de Polignac, ministre de la guerre par intérim, en l’absence du maréchal de Bourmont qui prenait Alger, proposa au roi de faire venir vingt mille hommes de renfort des garnisons des environs. Il signa l’ordre. — « Expédiez-le bien vite », dit le roi. — « J’en chargerai mes courriers » , dit M. de Polignac. — Il mit l’ordre dans sa poche. Deux jours après, au fort de la bataille, les vingt mille hommes attendus n’arrivaient pas. — « Oh ! mon Dieu ! » s’écria M. de Polignac. Il porta la main à sa poche, l’ordre y était encore. Il l’avait oublié.

Du reste, M. Guernon-Ranville vit paisible. Il vient à Paris de temps en temps. L’an dernier, pourtant, il a fait le voyage de Belgrave-Square. Il en parlait dernièrement. — « J’ai retrouvé là, disait-il, quelque ombre du passé. Le prince me consultait en tout. J’avais état de ministre près de lui. »