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à mon fils de Joinville. Qui n’est qu’un marin n’est rien sur terre. Or, ce duc de Clarence me disait : — Duc d’Orléans, il faut une guerre tous les vingt ans entre la France et l’Angleterre. L’histoire le montre. — Je lui répondais : — Mon cher duc de Clarence, à quoi bon les gens d’esprit si on laisse le genre humain refaire toujours les mêmes sottises ? — Le duc de Clarence ne savait pas un mot de français, non plus que Peel.

Quelle différence de ces hommes-là à Huskisson ! Vous savez ? Huskisson qui est mort si fatalement sur les rails d’un chemin de fer ? — Celui-là était un maître homme. Il savait le français et il aimait la France. Il avait été mon camarade au club des Jacobins. Je ne dis pas cela en mauvaise part. Il comprenait tout. S’il y avait en ce moment un homme comme cela en Angleterre, lui et moi ferions la paix du monde. — Monsieur Hugo, nous la ferons sans lui. Je la ferai tout seul. — Sir Robert Peel reviendra sur ce qu’il a dit. Hé mon Dieu ! il a dit cela. Sait-il seulement pourquoi et comment ? Avez-vous vu le parlement d’Angleterre ? On parle de sa place, debout, au milieu des siens, on est entraîné, on dit plus souvent encore ce que pensent les autres que ce qu’on pense soi-même. Il y a une communication magnétique. On la subit. On se lève (ici le roi s’est levé et a imité le geste de l’orateur qui parle au parlement). L’assemblée fermente tout auprès de vous ; on se laisse aller, on dit de ce côté-ci : L’Angleterre a subi une grossière injure, et de ce côté-là : Avec une grossière indignité. Ce sont tout simplement des applaudissements qu’on cherche des deux côtés. Rien de plus. Mais cela est mauvais. Cela est dangereux. Cela est funeste. En France notre tribune qui isole l’orateur a bien ses avantages.

De tous les hommes d’État anglais, je n’en ai connu qu’un qui sût se soustraire à ces entraînements des assemblées. Ce n’était pas M. Fox, homme rare pourtant. C’était M. Pitt. M. Pitt avait de l’esprit, quoiqu’il fût de haute taille. Il avait l’air gauche et parlait avec embarras. Sa mâchoire inférieure pesait un quintal. De là une certaine lenteur qui amenait par force la prudence dans ses discours. Quel homme d’État d’ailleurs que ce Pitt ! On lui rendra justice un jour, même en France. On en est encore à Pitt et Cobourg. Mais c’est une niaiserie qui passera. M. Pitt savait le français. Il faut, pour faire de bonne politique, des anglais qui sachent le français et des français qui sachent l’anglais.

Tenez, je vais aller en Angleterre le mois prochain. J’y serai très bien reçu : je parle anglais. Et puis, les anglais me savent gré de les avoir étudiés assez à fond pour ne pas les détester. Car on commence toujours par détester les anglais. C’est l’effet de la surface. Moi je les estime et j’en fais état. Entre nous, j’ai une chose à craindre en allant en Angleterre, c’est le trop bon accueil. J’aurai à éluder une ovation. De la popularité là-bas me ferait de