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air en dessous pour un air de prêtre, j’ai eu tort. Et puis, vous savez, c’était en 1840. Thiers me le proposait et me poussait. Thiers ne se connaît pas en archevêques. J’ai fait cela légèrement. J’aurais dû me souvenir de ce que M. de Talleyrand m’avait dit un jour : — Il faut toujours que l’archevêque de Paris soit vieux. Le siège est plus tranquille, et vaque plus souvent. — J’ai nommé M. Affre qui était jeune, c’est un tort. Au reste, je vais rétablir le chapitre de Saint-Denis, et en nommer primicier le cardinal de la Tour d’Auvergne. Ceci va, faire endiabler mon archevêque. Le nonce du pape, auquel je parlais tout à l’heure de mon projet, en a beaucoup ri, et m’a dit : — L’abbé Affre fera quelque folie. — Au reste il irait à Rome, que le pape le fêterait fort mal. Il a agi comme un pauvre sire dans toute occasion depuis qu’il est archevêque. Un archevêque de Paris, qui a de l’esprit, doit toujours être bien avec le roi ici et avec le pape là-bas.




Août 1844.

L’autre mois, le roi alla à Dreux. C’était l’anniversaire de la mort de M. le duc d’Orléans. Le roi avait choisi ce jour pour mettre en ordre les cercueils des siens dans le caveau de famille.

Il se trouvait dans le nombre un cercueil qui contenait tous les ossements des princes de la maison d’Orléans que Mme  la duchesse d’Orléans, mère du roi, avait pu recueillir après la Révolution, où ils furent violés et dispersés. Ce cercueil, placé dans un caveau séparé, avait été défoncé dans ces derniers temps par la chute d’une voûte. Les débris de la voûte, pierres et plâtras, s’y étaient mêlés aux ossements.

Le roi fit apporter ce cercueil devant lui et le fit ouvrir. Il était seul dans le caveau avec le chapelain et deux aides de camp. Un autre cercueil plus grand et plus solide avait été préparé. Le roi prit lui-même et de sa main les ossements de ses aïeux l’un après l’autre dans le cercueil brisé et les rangea avec soin dans le cercueil nouveau. Il ne souffrit pas que personne autre y touchât. De temps en temps il comptait les crânes et disait : — Ceci est M. le duc de Penthièvre. Ceci est M. le comte de Beaujolais. Puis il complétait de son mieux et comme il pouvait chaque groupe d’ossements.

Cette cérémonie dura de neuf heures du matin à sept heures du soir, sans que le roi prît de repos ni de nourriture.