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LA PEINE DE MORT.
Septembre 1848.

Quand j’ai dit à l’Assemblée : le généreux peuple de Février a voulu brûler l’échafaud[1] ; on a nié le fait. Il s’est trouvé des hommes pour dire : cela n’est pas.

Le fait est vrai, et je le prouverai.

Mais n’est-il pas triste qu’on se plaise toujours à contester ce que l’histoire a de plus beau et de plus grand ? Au profit de qui ? de personne. Au détriment de la moralité des nations. On a nié le mot de François Ier après Pavie, on a nié le mot de l’abbé Edgeworth à Louis XVI, on a nié le mot de Cambronne à Waterloo.

Eh mon Dieu ! si ce sont des fictions, respectons-les, adorons-les ! croyons-y pour l’honneur des hommes ! oui, laissons à l’histoire ces mensonges sublimes. Ne les discutons pas. Si l’histoire ment, c’est qu’elle veut idéaliser la nature humaine, si l’histoire ment, c’est que les mensonges qu’elle fait valent mieux que la vérité que nous faisons !

Selon les criminalistes, la peine de mort a deux efficacités, l’une directe, l’autre indirecte, le coup qu’elle frappe sur l’individu par le retranchement, le coup qu’elle frappe sur la société par l’exemple.

Voyons d’abord ce que c’est que l’exemple.


L’exemple, le bon exemple donné par la peine de mort, nous le connaissons. Il a eu plusieurs noms. Chacun de ces noms exprime tout un ordre de faits et d’idées. L’exemple s’est appelé Montfaucon, il s’est appelé la place de Grève, il s’appelle aujourd’hui la barrière Saint-Jacques. Examinez les trois termes de cette progression décroissante : Montfaucon, l’exemple terrible et permanent ; la place de Grève, l’exemple qui est encore terrible, mais qui n’est plus permanent ; la barrière Saint-Jacques, l’exemple qui n’est plus ni permanent, ni terrible, l’exemple inquiet, honteux, timide, effrayé de lui même, l’exemple qui s’amoindrit, qui se dérobe, qui se cache. Le voilà à la porte de Paris, prenez garde, si vous ne le retenez pas, il va s’en aller ! il va disparaître !

Qu’est-ce à dire ? Voilà qui est singulier ! l’exemple qui se cache, l’exemple qui fait tout ce qu’il peut pour ne pas être l’exemple. N’en rions pas. La contradiction n’est étrange qu’en apparence ; au fond il y a en ceci quelque chose de grand et de touchant. C’est la sainte pudeur de la société qui détourne la tête devant un crime que la loi lui fait commettre. Ceci prouve que la société a conscience de ce qu’elle fait et que la loi ne l’a pas.

Voyez, examinez, réfléchissez. Vous tenez à l’exemple. Pourquoi ? Pour ce qu’il enseigne. Que voulez-vous enseigner avec votre exemple ? Qu’il ne faut pas tuer. Et comment enseignez-vous qu’il ne faut pas tuer ? en tuant.

En France, l’exemple se cache à demi. En Amérique, il se cache tout à fait. Ces jours-ci on a pu lire dans les journaux américains l’exécution d’un nommé

  1. Voir page 137.