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L’auteur, ne pouvant croire à tant d’insolence et de folie, courut au théâtre. Là le fait lui fut confirmé de toute part. Le ministre avait, en effet, de son autorité privée, de son droit divin de ministre, intimé l’ordre en question. Le ministre n’avait pas de raison à donner. Le ministre lui avait pris sa pièce, lui avait pris son droit, lui avait pris sa chose. Il ne restait plus qu’à le mettre, lui poète, à la Bastille.

Nous le répétons, dans le temps où nous vivons, lorsqu’un pareil acte vient vous barrer le passage et vous prendre brusquement au collet, la première impression est un profond étonnement. Mille questions se pressent dans votre esprit. — Où est la loi ? Où est le droit ? Est-ce que cela peut se passer ainsi ? Est-ce qu’il y a eu en effet quelque chose qu’on a appelé la révolution de juillet ? Il est évident que nous ne sommes plus à Paris. Dans quel pachalik vivons-nous ? —

La Comédie-Française, stupéfaite et consternée, voulut essayer encore quelques démarches près du ministre pour obtenir la révocation de cette étrange décision. Mais elle perdit sa peine. Le divan, je me trompe, le conseil des ministres s’était assemblé dans la journée. Le 23, ce n’était qu’un ordre du ministre ; le 24, ce fut un ordre du ministère. Le 23, la pièce n’était que suspendue ; le 24, elle fut définitivement défendue. Il fut même enjoint au théâtre de rayer de son affiche ces quatre mots redoutables : Le Roi s’amuse. Il lui fut enjoint, en outre, à ce malheureux Théâtre-Français, de ne pas se plaindre et de ne souffler mot. Peut-être serait-il beau, loyal et noble de résister à un despotisme si asiatique ; mais les théâtres n’osent pas. La crainte du retrait de leurs privilèges les fait serfs et su-