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d’affranchissement. C’est une réaction naturelle après cette brusque reprise de toutes nos libertés au pas de course, qu’on a appelée la Révolution de 1830. Mais cette réaction durera peu. Nos ministres seront étonnés un jour de la mémoire implacable avec laquelle les hommes mêmes qui composent à cette heure leur majorité leur rappelleront tous les griefs qu’on a l’air d’oublier si vite aujourd’hui. D’ailleurs, que ce jour vienne tard ou bientôt, cela ne m’importe guère. Dans cette circonstance, je ne cherche pas plus l’applaudissement que je ne crains l’invective ; je n’ai suivi que le conseil austère de mon droit et de mon devoir.

» Je dois le dire ici, j’ai de fortes raisons de croire que le gouvernement profitera de cet engourdissement passager de l’esprit public pour rétablir formellement la censure, et que mon affaire n’est autre chose qu’un prélude, qu’une préparation, qu’un acheminement à une mise hors la loi générale de toutes les libertés du théâtre. En ne faisant pas de loi répressive, en laissant exprès déborder depuis deux ans la licence sur la scène, le gouvernement s’imagine avoir créé dans l’opinion des hommes honnêtes, que cette licence peut révolter, un préjugé favorable à la censure dramatique. Mon avis est qu’il se trompe, et que jamais la censure ne sera en France autre chose qu’une illégalité impopulaire. Quant à moi, que la censure des théâtres soit rétablie par une ordonnance qui serait illégale, ou par une loi qui serait inconstitutionnelle, je déclare que je ne m’y soumettrai jamais que comme on se soumet à un pouvoir de fait, en protestant, et cette protestation, messieurs, je la fais ici solennellement, et pour le présent et pour l’avenir.

» Et observez d’ailleurs comme, dans cette série d’actes arbitraires qui se succèdent depuis quelque temps, le gouvernement manque de grandeur, de franchise et de courage. Cet édifice, beau, quoique incomplet, qu’avait improvisé la Révolution de juillet, il le mine lentement, souterrainement, sourdement, obliquement, tortueusement. Il nous prend toujours en traître, par derrière, au moment où l’on ne s’y attend pas. Il n’ose pas censurer ma pièce avant la représentation, il l’arrête le lendemain.