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façon la charge de les dénoncer ici ; mais, dans ce cas-là même, je le déclare, tout en déplorant le scandale causé, tout en comprenant que d’autres conseillent au pouvoir d’arrêter sur-le-champ un ouvrage de ce genre, et d’aller ensuite demander aux Chambres un bill d’indemnité, je ne ferais pas, moi, fléchir la rigueur du principe. Je dirais au gouvernement : Voilà les conséquences de votre négligence à présenter une loi aussi pressante que la loi de la liberté théâtrale ! vous êtes dans votre tort, réparez-le, hâtez-vous de demander une législation pénale aux Chambres, et, en attendant, poursuivez le drame coupable avec le code de la presse qui, jusqu’à ce que les lois spéciales soient faites, régit, selon moi, tous les modes de publicité. Je dis, selon moi, car ce n’est ici que mon opinion personnelle. Mon illustre défenseur, je le sais, n’admet qu’avec plus de restriction que moi la liberté des théâtres ; je parle ici, non avec les lumières du jurisconsulte, mais avec le simple bon sens du citoyen ; si je me trompe, qu’on ne prenne acte de mes paroles que contre moi, et non contre mon défenseur. Je le répète, messieurs, je ne ferais pas fléchir la rigueur du principe ; je n’accorderais pas au pouvoir la faculté de confisquer la liberté dans un cas même légitime en apparence, de peur qu’il n’en vînt un jour à la confisquer dans tous les cas ; je penserais que réprimer le scandale par l’arbitraire, c’est faire deux scandales au lieu d’un ; et je dirais avec un homme éloquent et grave, qui doit gémir aujourd’hui de la façon dont ses disciples appliquent ses doctrines : Il n’y a pas de droit au-dessus du droit.

» Or, messieurs, si un pareil abus de pouvoir, tombant même sur une œuvre de licence, d’effronterie et de diffamation, serait déjà inexcusable, combien ne l’est-il pas davantage et que ne doit-on pas dire quand il tombe sur un ouvrage d’art pur, quand il s’en va choisir pour la proscrire, à travers toutes les pièces qui ont été données depuis deux ans, précisément une composition sérieuse, austère et morale ! C’est pourtant là ce que le gauche pouvoir qui nous administre a fait en arrêtant le Roi s’amuse. M. Odilon-Barrot vous a prouvé qu’il avait agi sans droit : je vous prouve, moi, qu’il a agi sans raison.