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peut-être qu’on ne pense communément, et que chacun de nous, poètes dramatiques, a probablement construite plus d’une fois dans son esprit, cette loi manque, cette loi n’est pas faite. Nos ministres, qui produisent, bon an mal an, soixante-dix à quatre-vingts lois par session, n’ont pas jugé à propos de produire celle-là. Une loi sur les théâtres, cela leur aura paru chose peu urgente. Chose peu urgente en effet, qui n’intéresse que la liberté de la pensée, le progrès de la civilisation, la morale publique, le nom des familles, l’honneur des particuliers, et, à de certains moments, la tranquillité de Paris, c’est-à-dire la tranquillité de la France, c’est-à-dire la tranquillité de l’Europe !

» Cette loi de la liberté des théâtres, qui aurait dû être formulée depuis 1830 dans l’esprit de la nouvelle Charte, cette loi manque, je le répète, et manque par la faute du gouvernement. La législation antérieure est évidemment écroulée, et tous les sophismes dont on replâtrerait sa ruine ne la reconstruiraient pas. Donc, entre une loi qui n’existe plus et une loi qui n’existe pas encore, le pouvoir est sans droit pour arrêter une pièce de théâtre. Je n’insisterai pas sur ce que M. Odilon-Barrot a si souverainement démontré.

» Ici se présente une objection de second ordre que je vais cependant discuter. — La loi manque, il est vrai, dira-t-on ; mais dans l’absence de la législation, le pouvoir doit-il rester complétement désarmé ? Ne peut-il pas apparaître tout à coup sur le théâtre une de ces pièces infâmes, faites évidemment dans un but de marchandise et de scandale, où tout ce qu’il y a de saint, de religieux et de moral dans le cœur de l’homme soit effrontément raillé et moqué, où tout ce qui fait le repos de la famille et la paix de la cité soit remis en question, où même des personnes vivantes soient piloriées sur la scène au milieu des huées de la multitude ? la raison d’état n’imposerait-elle pas au gouvernement le devoir de fermer le théâtre à des ouvrages si monstrueux, malgré le silence de la loi ? — Je ne sais pas, messieurs, s’il a jamais été fait de pareils ouvrages, je ne veux pas le savoir, je ne le crois pas et je ne veux pas le croire, et je n’accepterais en aucune