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n’est pas une chose peu curieuse aujourd’hui de voir ces géants du théâtre se débattre dans des avant-propos et des avis au lecteur sous l’inextricable réseau d’objections que la critique contemporaine ourdissait sans relâche autour d’eux. L’auteur de ce drame ne se croit pas digne de suivre d’aussi grands exemples. Il se taira, lui, devant la critique. Ce qui sied à des hommes pleins d’autorité, comme Molière et Corneille, ne sied pas à d’autres. D’ailleurs il n’y a peut-être que Corneille au monde qui puisse rester grand et sublime, au moment même où il fait mettre une préface à genoux devant Scudery ou Chapelain. L’auteur est loin d’être Corneille ; l’auteur est loin d’avoir affaire à Chapelain ou à Scudery. La critique, à quelques rares exceptions près, a été en général loyale et bienveillante pour lui. Sans doute il pourrait répondre à plus d’une objection. À ceux qui trouvent, par exemple, que Gennaro se laisse trop candidement empoisonner par le duc au second acte, il pourrait demander si Gennaro, personnage construit par la fantaisie du poète, est tenu d’être plus vraisemblable et plus défiant que l’historique Drusus de Tacite, ignarus et juveniliter hauriens. À ceux qui lui reprochent d’avoir exagéré les crimes de Lucrèce Borgia, il dirait : lisez Tomasi, lisez Guicciardini, lisez surtout le Diarium. À ceux qui le blâment d’avoir accepté sur la mort des maris de Lucrèce certaines rumeurs populaires à demi fabuleuses, il répondrait que souvent les fables du peuple font la vérité du poète ; et puis il citerait encore Tacite, historien plus obligé de se critiquer sur la réalité des faits que le poète dramatique : Quamvis fabulosa et immania credebantur, atrociore