Page:Hugo Œuvres complètes tome 5.djvu/245

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Borgia ? Prenez la difformité morale la plus hideuse, la plus repoussante, la plus complète ; placez-la là où elle ressort le mieux, dans le cœur d’une femme, avec toutes les conditions de beauté physique et de la grandeur royale, qui donnent de la saillie au crime, et maintenant mêlez à toute cette difformité morale un sentiment pur, le plus pur que la femme puisse éprouver, le sentiment maternel ; dans votre monstre mettez une mère ; et le monstre intéressera, et le monstre fera pleurer, et cette créature qui faisait peur fera pitié, et cette âme difforme deviendra presque belle à vos yeux. Ainsi, la paternité sanctifiant la difformité physique, voilà le Roi s’amuse ; la maternité purifiant la difformité morale, voilà Lucrèce Borgia. Dans la pensée de l’auteur, si le mot bilogie n’était pas un mot barbare, ces deux pièces ne feraient qu’une bilogie sui generis, qui pourrait avoir pour titre : Le Père et la Mère. Le sort les a séparées, qu’importe ! l’une a prospéré, l’autre a été frappée d’une lettre de cachet ; l’idée qui fait le fond de la première restera long-temps encore peut-être voilée par mille préventions à bien des regards ; l’idée qui a engendré la seconde semble être chaque soir, si aucune illusion ne nous aveugle, comprise et acceptée par une foule intelligente et sympathique ; habent sua fata ; mais quoi qu’il en soit de ces deux pièces, qui n’ont d’autre mérite d’ailleurs que l’attention dont le public a bien voulu les entourer, elles sont sœurs jumelles, elles se sont touchées en germe, la couronnée et la proscrite, comme Louis XIV et le Masque de Fer.

Corneille et Molière avaient pour habitude de répondre en détail aux critiques que leurs ouvrages suscitaient, et ce