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en une nuit sous le pied maladroit qui les écrase. Aussi compte-t-il bien mener de front désormais la lutte politique, tant que besoin sera, et l’œuvre littéraire. On peut faire en même temps son devoir et sa tâche. L’un ne nuit pas à l’autre. L’homme a deux mains.

Le Roi s’amuse et Lucrèce Borgia ne se ressemblent ni par le fond, ni par la forme, et ces deux ouvrages ont eu chacun de leur côté une destinée si diverse que l’un sera peut-être un jour la principale date politique et l’autre la principale date littéraire de la vie de l’auteur. Il croit devoir le dire cependant, ces deux pièces si différentes par le fond, par la forme et par la destinée, sont étroitement accouplées dans sa pensée. L’idée qui a produit le Roi s’amuse et l’idée qui a produit Lucrèce Borgia sont nées au même moment, sur le même point du cœur. Quelle est en effet la pensée intime cachée sous trois ou quatre écorces concentriques dans le Roi s’amuse ? La voici. Prenez la difformité physique la plus hideuse, la plus repoussante, la plus complète ; placez-la là où elle ressort le mieux, à l’étage le plus infime, le plus souterrain et le plus méprisé de l’édifice social ; éclairez de tous côtés, par le jour sinistre des contrastes, cette misérable créature ; et puis, jetez-lui une âme, et mettez dans cette âme le sentiment le plus pur qui soit donné à l’homme, le sentiment paternel. Qu’arrivera-t-il ? C’est que ce sentiment sublime, chauffé selon certaines conditions, transformera sous vos yeux la créature dégradée ; c’est que l’être petit deviendra grand ; c’est que l’être difforme deviendra beau. Au fond, voilà ce que c’est que le Roi s’amuse. Eh bien ! qu’est-ce que c’est que Lucrèce