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M. VICTOR HUGO, à qui M. le président accorde la parole, annonce qu’il désire parler le dernier.

Me  CHAIX-D’EST-ANGE : Il serait plus logique de plaider en ce moment ; je répondrais à tous mes adversaires. Sans quoi, je serai obligé de demander une réplique.

M. VICTOR HUGO : Je suis prêt à plaider.

Messieurs, après l’avocat célèbre qui me prête si généreusement l’assistance puissante de sa parole, je n’aurais rien à dire si je ne croyais de mon devoir de ne pas laisser passer sans une protestation solennelle et sévère l’acte hardi et coupable qui a violé tout notre droit public dans ma personne.

Cette cause, Messieurs, n’est pas une cause ordinaire : il semble à quelques personnes, au premier aspect, que ce n’est qu’une simple action commerciale, qu’une réclamation d’indemnités pour la non-exécution d’un contrat privé, en un mot, que le procès d’un auteur à un théâtre. Non, Messieurs, c’est plus que cela ; c’est le procès d’un citoyen à un gouvernement. Au fond de cette affaire, il y a une pièce défendue par ordre. Or, une pièce défendue par ordre, c’est la censure, et la Charte abolit la censure ; une pièce défendue par ordre, c’est la confiscation, et la Charte abolit la confiscation. Votre jugement, s’il m’est favorable, et il me semble que je vous ferais injure d’en douter, sera un blâme manifeste, quoique indirect, de la confiscation et de la censure. Vous voyez, Messieurs, combien l’horizon de la cause s’élève et s’élargit. Je plaide ici pour quelque chose de plus haut que mon intérêt propre : je plaide pour mes droits les plus généraux, pour mon droit de posséder et pour mon droit de penser, c’est-à-dire pour le droit de tous : c’est une cause générale que la mienne, comme c’est une équité absolue que la vôtre.

Les petits détails du procès s’effacent devant la question ainsi posée ; je ne suis plus simplement un écrivain, vous n’êtes plus simplement des juges consulaires ; votre conscience est face à face avec la mienne : sur ce tribunal vous représentez une idée auguste, et moi, à cette barre, j’en représente une autre ; sur votre siége, il y a la justice, sur le mien, il y a la liberté. (Applaudissements dans l’auditoire.)

M. LE PRÉSIDENT : Je rappelle au public que toutes marques d’approbation et d’improbation sont interdites.

M. VICTOR HUGO s’élève contre les décrets dictatoriaux qui, nés sous divers régimes établis contre la liberté, sont morts avec ces régimes. La liberté pour la chaire, la presse et le théâtre, telle est désormais la base principale de notre droit public.

Sans doute, s’il se présentait une de ces pièces où l’on ferait évidemment trafic et marchandise du désordre, il faudrait punir de pareils excès, mais il faudrait les réprimer, et ne point user de mesures préventives.

Un passage de la préface dont M. Victor Hugo donne lecture lui fournit l’occasion de dire que sa pièce s’élève aux plus hautes moralités ; quant à l’allusion qu’on a cru y découvrir contre le père du roi Louis-Philippe, ce serait la plus ignoble et la plus cruelle des injures. Il n’appartenait qu’à une étourderie de courtisans de relever un pareil vers et cette étourderie est une insolence, non-seulement pour le roi, mais pour le poète.

Messieurs, je me résume. En arrêtant ma pièce, le ministère n’a, d’une part, pas un texte de loi valide à citer, d’autre part, pas une raison valable à donner. Cette mesure a deux aspects également mauvais : selon la loi, elle est arbitraire ; selon le raisonnement, elle est absurde. Que peut-il donc alléguer dans cette affaire, ce pouvoir qui n’a