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dans cet arsenal de lois, dégager les armes qui peuvent encore servir, de celles dont l’usage n’est plus permis. Vous vous attacherez à la lettre de la Charte, qui proscrit toute espèce de censure, la censure dramatique comme la censure des ouvrages imprimés, et, en rendant justice à mon client, vous aurez servi les intérêts de la liberté.

M. LE PRÉSIDENT : L’avocat du Théâtre-Français a la parole.

M. VICTOR HUGO : Je demanderai à M. le président la permission de prendre ensuite la parole.

M. LE PRÉSIDENT : Vous l’avez en ce moment.

M. VICTOR HUGO : Je préférerais parler après mes deux adversaires.

M. LÉON DUVAL prend et développe, au nom du Théâtre-Français, des conclusions tendant à faire déclarer l’incompétence du tribunal de commerce. La Comédie-Française n’aurait pas demandé mieux que de continuer les représentations d’un ouvrage qui lui promettait d’abondantes recettes ; elle aurait désiré appeler des orages du premier jour à de nouveaux orages ; mais elle a dû céder à une nécessité impérieuse.

Le tumulte devient si violent, qu’il est impossible de continuer les plaidoiries. On crie de toutes parts : On étouffe ! Ouvrez les fenêtres ! Donnez-nous de l’air ! Il faut faire évacuer la première pièce ! Plusieurs dames effrayées se retirent de l’enceinte.

M. LE PRÉSIDENT : On n’entend déjà pas trop ; si l’on ouvre les fenêtres, on n’entendra plus les défenseurs.

Une foule de voix : Nous ne pouvons ni sortir ni respirer ; nous étouffons.

M. LE PRÉSIDENT : L’audience va être suspendue ; on ouvrira les fenêtres, et l’on fera évacuer la première pièce. (Applaudissements dans la partie la plus rapprochée du tribunal ; murmures dans le vestibule.)

Le tumulte est à son comble ; un piquet de gardes nationaux pénètre dans l’enceinte ; le plus grand nombre l’applaudit, surtout quand on s’aperçoit que les soldats citoyens ont pris soin de retirer leurs baïonnettes du canon de leurs fusils. La force armée dissipe la foule qui se trouvait dans le premier vestibule. Quelques spectateurs, en se retirant, fredonnent la Marseillaise.

MM. les agents de change et les négociants qui étaient, en ce moment, occupés d’affaires de bourse au rez-de-chaussée, ont pu croire qu’ils étaient cernés par une émeute.

Enfin on ferme les portes vitrées, ainsi que les portes extérieures, pour ne laisser rentrer personne, et l’audience est reprise à deux heures et demie.

M. LE PRÉSIDENT : Le tribunal a fait tout ce qui dépendait de lui pour que le public fût à son aise ; si ce bruit se renouvelle, l’audience sera levée et la cause remise à un autre jour.

M. LÉON DUVAL achève son plaidoyer. Il démontre que la Comédie-Française a cédé à la force majeure, et que, ne se fût-il agi que de la subvention, elle ne devait pas s’engager dans une lutte où elle aurait inévitablement succombé.