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avait de détestable. Il était fier, hautain, et surtout d'une insolence outrée. Dans les leçons de thibétain qu'il nous donnait, il avait remplacé ses premières formes d'honnêteté et de prévenance par des manières choquantes, dures, et telles que ne s'en permettrait pas un pédagogue en présence d'un bambin : si nous lui demandions un éclaircissement qu'il nous eût par hasard déjà donné, nous étions sûrs d'entendre les douceurs suivantes : — Comment ! vous autres, qui êtes des savants, vous avez besoin qu'on vous répète trois fois la même explication ? Mais si je disais trois fois une chose à un mulet, il s'en souviendrait, je pense. — Il eût été bien simple sans doute de couper court à toutes ces impertinences ; c'eût été de le chasser de chez nous, et de le renvoyer dans sa lamaserie. Plus d'une fois, il nous en vint la pensée et le désir ; mais nous préférâmes dévorer tous les jours quelques humiliations, et garder auprès de nous ce Lama, dont les talents étaient incontestables, et qui, sous ce rapport, pouvait nous être d'une grande utilité. Sa rudesse excessive pouvait même nous servir à faire des progrès dans l'étude du thibétain ; car nous étions sûrs qu'il ne nous passerait jamais la moindre faute de grammaire ou de prononciation, qu'au contraire nous serions toujours repris de manière à nous en souvenir. Ce système, quoique pénible, et parfois écrasant pour l'amour-propre, valait cependant incomparablement mieux que la méthode dont usent les chrétiens chinois à l'égard des missionnaires européens. Moitié par politesse, moitié par dévotion, ils sont toujours à s'extasier sur tout ce que dit leur Père spirituel ; au lieu de le reprendre franchement des fautes qui fourmillent souvent dans sa manière de parler, ils s'appliquent