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mais, à cause de la route de demain, nous le ferons ce soir d'une manière spéciale.

Il y avait tout au plus deux heures que nous étions couchés, lorsqu'un des soldats du corps de garde entra bruyamment dans notre chambre, suspendit à une cheville plantée au mur, une grosse lanterne rouge, et nous avertit que le coq avait déjà chanté une fois. Il fallut se lever, et faire promptement les préparatifs du départ, car nous avions cent cinquante lis de marche avant d'arriver au relais suivant. Le ciel était tout étoilé ; mais la neige était tombée dans la soirée en si grande abondance, qu'en peu de temps elle avait ajouté aux vieilles couches, une couche nouvelle d'un pied d'épaisseur. C'était tout ce qu'il nous fallait pour nous servir de tapis, et nous faciliter le passage du Wa-Ho, montagne perpétuellement recouverte de neige gelée, et presque aussi glissante qu'un glacier.

La caravane se mit en mouvement longtemps avant le jour ; elle s'avança lentement et en silence dans les sentiers tortueux de la montagne, suffisamment éclairés par la blancheur de la neige et la clarté des étoiles. Le soleil commençait à rougir l'horizon, lorsque nous arrivâmes sur le plateau. La crainte du Grand Crapaud s'étant dissipée avec la nuit, on s'affranchit du silence auquel on s'était condamné. D'abord les conducteurs des bagages se mirent à maudire, à haute voix, les bœufs à long poil qui allaient flâner et folâtrer hors des sentiers. Peu à peu les voyageurs hasardèrent quelques réflexions sur la douceur de la température, et la facilité inespérée de la route : enfin on se moqua complètement de la colère du crapaud ; de toutes parts, on se mit à jaser, à crier et à chanter, sans paraître