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extraordinaire, que nous désirâmes le voir encore une fois avant de nous remettre en route. Comme nous devions partir le lendemain de très-bonne heure, nous allâmes lui rendre sa visite avant de nous coucher. Nous le trouvâmes dans sa chambre, assis sur d'épais et larges coussins recouverts de magnifiques peaux de tigre ; il avait devant lui, sur une petite table en laque, une théière en argent, une tasse en jade posée sur une soucoupe en or richement ciselée. Il paraissait s'ennuyer passablement ; aussi fut-il enchanté de notre visite. De crainte qu'il ne s'avisât de nous laisser debout en sa présence, tout en entrant nous allâmes, sans façon, nous asseoir à côté de lui. Les gens de sa suite, qui étaient dans une pièce voisine, furent extrêmement choqués de cette familiarité, et firent entendre un léger murmure d'improbation. Le Bouddha vivant nous regarda en souriant avec malice ; il agita ensuite une clochette d'argent, et un jeune Lama s'étant présenté, il lui ordonna de nous servir du thé au lait. — J'ai vu souvent de vos compatriotes, nous dit-il ; ma lamaserie n'est pas éloignée de votre pays ; les Oros (Russes) passent quelquefois la frontière, mais ils ne vont pas si loin que vous. — Nous ne sommes pas Russes, lui dîmes-nous, notre pays est très-éloigné du leur. Cette réponse parut le surprendre ; il nous regarda attentivement, puis il ajouta : — De quel pays êtes-vous ? — Nous sommes du ciel d'occident. — Ah! c'est cela, vous êtes des Péling (1)[1], du Dchon-Ganga (

  1. (1) Les Thibétains appellent les Anglais de l'Indoustan Péling, nom qui veut dire étranger. C'est l'équivalent du mot chinois y-jin, que les Européens traduisent par barbare, sans doute pour trouver dans le contraste, de quoi flatter leur amour-propre.