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Le premier Louk-So, ou rite de la fête, commence à minuit ; aussi tout le monde veille, attendant avec impatience cette heure mystique et solennelle, qui doit clore la vieille année et ouvrir le cours de la nouvelle. Comme nous étions peu curieux de saisir ce point d’intersection qui sépare les deux années thibétaines, nous nous étions couchés à notre heure ordinaire. Nous dormions profondément, lorsque nous fûmes tout à coup réveillés par les cris de joie qui éclatèrent de toutes parts dans 1ns quartiers de la ville. Les cloches, les cymbales, les conques marines, les tambourins, et tous les instruments de la musique thibétaine, se firent bientôt entendre, et donnèrent naissance au tintamarre le plus affreux qu’on puisse imaginer ; on eut dit qu’on accueillait par un charivari l’année qui venait d’éclore. Nous eûmes un instant bonne envie de nous lever, pour aller contempler le bonheur des heureux habitants de Lha-Ssa ; mais le froid était si piquant, qu’après de mûres et sérieuses réflexions, nous opinâmes qu’il serait plus convenable de demeurer sous nos épaisses couvertures de laine, et de nous unir seulement de cœur à la félicité publique ... Des coups redoublés, qui retentirent bientôt à la porte de notre demeure, et qui menaçaient de la faire voler en éclats, nous avertirent qu’il fallait renoncer à notre magnifique projet. Après quelques tergiversations, nous fûmes enfin contraints de sortir de notre chaude couchette ; nous endossâmes nos robes, et la porte ayant été ouverte, quelques Thibétains de nos connaissances envahirent notre chambre, en nous conviant au régal de la nouvelle année. Ils portaient tous, entre leurs mains, un petit pot en terre cuite, où flottaient, dans de l’eau bouillante, des boulettes