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Pendant la nuit, ils s'introduisent adroitement dans les tentes, et en emportent tout ce qui tombe sous leurs mains ; en plein jour même, ils exercent leur industrie avec un aplomb et une habileté capables de donner de la jalousie aux filous les plus distingués de Paris.

Après avoir fait provision de beurre, de tsamba et de quelques quartiers de mouton, nous nous acheminâmes vers Lha-Ssa, dont nous n'étions guère éloignés que d'une quinzaine de jours de marche. Nous eûmes pour compagnons de voyage des Mongols du royaume de Khartchin, qui se rendaient en pèlerinage au Sanctuaire Eternel (1)[1] ; ils avaient avec eux leur grand Chaberon, c'est-à-dire, un Bouddha-vivant, qui était supérieur de leur lamaserie. Ce Chaberon était un jeune homme de dix-huit ans ; il avait des manières agréables et distinguées ; sa figure pleine de candeur et d'ingénuité contrastait singulièrement avec le rôle qu'on lui faisait jouer. A l'âge de cinq ans, il avait été déclaré Bouddha et Grand-Lama des Bouddhistes de Khartchin. Il allait passer quelques années dans une des grandes lamaseries de Lha-Ssa, pour s'appliquer à l'étude des prières, et acquérir la science convenable à sa dignité. Un frère du roi de Khartchin et plusieurs Lamas de qualité, étaient chargés de lui faire cortège et de le servir en route. Le titre de Bouddha-vivant paraissait être, pour ce pauvre jeune homme, une véritable oppression. On voyait qu'il aurait voulu pouvoir rire et folâtrer tout à son aise ; en route, il lui eût été bien plus agréable de faire caracoler son cheval, que d'aller gravement entre deux cavaliers

  1. (1) Les Tartares donnent à Lha-Ssa, le nom de Monhe-Dchot sanctuaire éternel.