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les compagnons de ce pauvre jeune homme. Quand ils surent ce que nous avions fait, ils se prosternèrent pour nous remercier ; ils nous dirent que nous avions un cœur excellent, mais que nous nous étions donné en vain une grande peine ; que le malade était perdu ... Il est gelé, nous dirent-ils, et le froid est bien près de gagner le cœur ! Il nous fut impossible de partager le désespoir de ces voyageurs. Nous retournâmes à notre tente, et l'un d'eux nous accompagna, pour voir si l’état du malade offrait encore quelques ressources. Quand nous arrivâmes, le jeune Lama était mort !

Plus de quarante hommes de la caravane, furent abandonnés encore vivants dans le désert, sans qu'il fût possible de leur donner le moindre soulagement. On les faisait aller à cheval ou à chameau tant qu'il y avait quelque espérance ; mais, quand ils ne pouvaient ni manger, ni parler, ni se soutenir, on les exposait sur la route. On ne pouvait s'arrêter pour les soigner dans un désert inhabité, où l'on avait à redouter les bêtes féroces, les brigands, et surtout le manque de vivres. Ah! quel spectacle affreux, de voir ces hommes mourants, abandonnés le long du chemin! Pour dernière marque d'intérêt, on déposait à côté d'eux une écuelle en bois et un petit sac de farine d'orge ; ensuite, la caravane continuait tristement sa route. Quand tout le monde était passé, les corbeaux et les vautours qui tournoyaient sans cesse dans les airs, s'abattaient sur ces infortunés, qui, sans doute, avaient encore assez de vie pour se sentir déchirer par ces oiseaux de proie.

Les vents du nord aggravèrent beaucoup la maladie do M. Gabet. De jour en jour, son état devenait plus alarmant.