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tapis de feutre qu'on leur ficelait autour du corps, et de leur envelopper la tête avec du poil de chameau. Dans d'autres circonstances tous ces bizarres accoutrements eussent excité notre hilarité, mais nous étions trop malheureux pour rire. Malgré toutes ces précautions, les animaux de la caravane furent décimés par la mort.

Les nombreuses rivières que nous avions à passer sur la glace étaient encore un inconcevable sujet de misères et de fatigues. Les chameaux sont si maladroits ; ils ont la marche si lourde et si pesante, que, pour faciliter leur passage, nous étions obligés de leur tracer un chemin, en semant sur la rivière du sable et de la poussière, ou en brisant avec nos haches la première couche de glace. Après cela, il fallait prendre les chameaux les uns après les autres et les guider avec soin sur la bonne route : s'ils avaient le malheur de faire un faux pas et de glisser, c'était fini ; ils se jetaient lourdement à terre, et on avait toutes les peines du monde à les faire relever. Il fallait d'abord les décharger de leur bagage, puis on les traînait sur les flancs jusqu'au bord de la rivière, où l'on étendait des tapis sur la glace ; quelquefois même tout cela était inutile ; on avait beau les frapper, les tirailler, ils ne se donnaient pas même la peine de faire un effort pour se relever : on était alors forcé de les abandonner, car on ne pouvait s'arrêter dans cet affreux pays, pour attendre qu'il prît fantaisie à un chameau de se remettre sur ses jambes.

Tant de misères réunies finirent par jeter les pauvres voyageurs dans un abattement voisin du désespoir. A la mortalité des animaux, se joignit celle des hommes, que le froid saisissait, et qu'on abandonnait encore vivants le long