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quelques exceptions près, se promettait bien d'agir, au besoin, en bon soldat ; mais il faut avouer que l'allure naguère si intrépide et si guerrière de la caravane, s'était singulièrement modifiée depuis le passage du Bourhan-Bota. On ne chantait plus, on ne riait plus, on ne faisait plus caracoler les chevaux, on était morne et taciturne ; toutes ces moustaches fièrement redressées au moment du départ, étaient très-humblement cachées dans des peaux d'agneau, dont on avait soin de s'envelopper la figure jusqu'aux yeux. Tous ces braves militaires avaient fait de leurs lances, de leurs fusils, de leurs sabres et de leurs carquois, des paquets qu'ils donnaient à porter à leurs bêtes de somme. Au reste, on ne pensait guère au danger d'être égorgé par les brigands ; on n'avait peur que de mourir de froid.

Ce fut au mont Chuga que commença sérieusement la longue série de nos misères. La neige, le vent et le froid se déchaînèrent sur nous, avec une fureur qui alla croissant de jour en jour. Les déserts du Thibet sont, sans contredit, le pays le plus affreux qu'on puisse imaginer. Le sol allant toujours en s'élevant, la végétation diminuait à mesure que nous avancions, et le froid prenait une intensité effrayante. Dès lors, la mort commença à planer sur la pauvre caravane. Le manque d'eau et de pâturages ruina promptement les forces des animaux. Tous les jours, on était obligé d'abandonner des botes de somme qui ne pouvaient plus se traîner. Le tour des hommes vint un peu plus tard. L'aspect de la route nous présageait un bien triste avenir. Nous cheminions, depuis quelques jours, comme au milieu des excavations d'un vaste cimetière. Les ossements humains et les carcasses d'animaux, qu'on