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les bords, et donnèrent aux bœufs à long poil le temps de les joindre. Bientôt la caravane tout entière se trouva réunie sur un seul point ; il serait impossible d'exprimer le désordre et la confusion qui régnaient au milieu de cette immense cohue, enveloppée des ténèbres de la nuit. Enfin, plusieurs cavaliers poussèrent leurs chevaux, et crevèrent la glace en plusieurs endroits. Alors, la caravane entra pêle-mêle dans la rivière ; les animaux se heurtaient et faisaient rejaillir l'eau de toute part, la glace craquait, les hommes vociféraient ; c'était un tumulte effroyable. Après avoir traversé le premier bras, il fallut recommencer la manœuvre au second, puis au troisième, et ainsi de suite. Quand le jour parut, la sainte ambassade était encore à gargouiller dans l'eau ; enfin, après avoir beaucoup fatigué et beaucoup frissonné, au moral comme au physique, nous eûmes le bonheur de laisser derrière nous les douze embranchements du Pouhain-Gol, et de nous trouver en pays sec ; mais toutes nos idées poétiques s'étaient évanouies, et nous commencions à trouver cette manière de voyager tout-à-fait détestable.

Et pourtant, tout le monde paraissait être dans la jubilation. On disait que le passage du Pouhain-Gol s'était exécuté admirablement bien. Un seul homme s'était cassé les jambes, et il ne s'était noyé que deux bœufs à long poil. Pour ce qui est des objets perdus ou volés pendant ce long désordre, on n'en tenait pas compte.

Quand la caravane reprit sa marche accoutumée, elle présentait un aspect vraiment risible. Les hommes et les animaux étaient plus ou moins chargés de glaçons. Les chevaux s'en allaient tristement, et paraissant fort embarrassé