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Ces paroles furent comme un coup de foudre pour le pauvre vieillard. Après un instant de morne stupeur, il s'abandonna aux cris et aux gémissements. Pendant qu'il était dans cet état de désolation, son fils arriva, ramenant du pâturage un petit troupeau de sarligues. — Mon fils, lui dit le vieillard, selle promptement ton cheval, arme-toi de ton sabre, et précipite-toi du côté de l'occident ; tu rencontreras un Lama étranger, que tu dois immoler sur-le-champ, car il m'a volé ma courroie. — Quoi! s'écria le jeune homme, saisi d'épouvante, c'est un meurtre que vous me commandez ! Comment, mon père, pendant que nos tribus ne parlent qu'avec admiration de votre grande sainteté, vous osez m'ordonner d'immoler un pauvre voyageur, pour avoir pris dans votre tente une courroie dont il avait sans doute besoin ! — Pars vite, ô mon fils, je t'en conjure, répétait le vieillard, en se tordant les bras de douleur ; pars vite, et immole cet étranger, si tu ne veux pas que nous soyons tous engloutis dans les flots. Le jeune homme croyant que son père était dans un accès de délire, ne voulut pas le contredire de peur de l'irriter davantage : il monta à cheval, et courut sur les traces du Lama du royaume d'Oui. Il l'atteignit avant la fin du jour. — Saint personnage, lui dit-il, pardonne-moi si je viens interrompre ta marche ; tu t'es reposé aujourd'hui dans notre tente, et tu as pris en partant une courroie que mon père redemande à grands cris ; la fureur du vieillard est si grande, qu'il m'a ordonné de te mettre à mort ; mais il n'est pas plus permis d'exécuter les ordres d'un vieillard en délire que ceux d'un enfant. Rends-moi cette courroie, et je retournerai calmer mon père. Le Lama du royaume d'Oui,